Alors qu’on les croyait anéantis par leur label, voilà qu’ils nous balancent des riffs à fragmentation sur un troisième opus délibérément (post) punk. Même si plus concise, l’entreprise de démolition du monde tel que la conçoit The Futureheads demeure jubilatoire.


« Jouer plus fort et plus vite ». Venant d’un groupe de rock, un tel poncif n’augurerait rien de bon et pèse même lourd (voire « Heavy ») dans la balance des sous-entendus dits commerciaux. Il est d’autant plus déconcertant que cette formule va comme un gant à This Is Not The World, dernier skeud jeté en pleine gueule par les brillantissimes Anglais The Futureheads. De quoi s’inquiéter un peu sur l’orientation de ce troisième album du quatuor de Sunderland, eux qui depuis leurs débuts en 2004 ont élevé au rang de modèle éthique l’intransigeance des six-cordes dissonnantes et les constructions anarchiques. Après que leur label 679 Recordings les ait poussés précipitamment vers la sortie l’année dernière suite aux résultats décevants de News and Tributes – second opus audacieux mais incompris produit par Ben Hillier, pourtant à la hauteur des ambitions -, l’expérience désastreuse sur une major aurait vraisemblablement poussé le groupe à un repliement stratégique et sonique. Trop malin pour céder aux concessions, Futureheads a obtempéré… dans le sens des fans.

Aujourd’hui entièrement libres de leurs mouvements grâce à leur propre structure, Nul Records, Barry Hyde et Ross Millard (tous deux guitares/voix) se devaient cependant de frapper un grand coup sur ce troisième opus pour prouver qu’ils étaient toujours dans la course… mais avec la manière et le style élégamment saccadé qui leur est propre. En un seul mot, This Is Not The World est un disque d’« émeutier », pour reprendre la belle expression de Bernard Lenoir qui les a récemment conviés à mettre le feu à ses Black Sessions. C’est un disque remonté, bruyant, l’urgence post-punk du triangle Wire/Jam/XTC (soit respectivement dissidence/style/harmonie) est siglée dessus. Douze tornades de décibels jouées sans frein, pied au plancher, quitte à capoter en beauté. La production déléguée à Youth (Depeche Mode, The Verve) se pose en filtre tranchant, un pare-feu qui ne laisserait dépasser aucun effet superflu.

L’escadron pique d’emblée avec l’imparable « The Beginning Of The Twist », distribué avec un sens aigu du refrain rageur par la paire Millard/Hide. Les décoiffants “Walking Backwards” (et son riff assassin !), “Sale of the Century”, “Radio Heart”, « Think Tonight »… (faut-il tous les mentionner ?) tirent chaque fois aux forceps un refrain détonant de ce chaos distordu. Sans compter sur la violence de la frappe du batteur primitif Dave Hyde, qui nous prend de court et joue du gong avec nos joues. Seul titre qui relâche un tant soit peu la pression, le limite poignant “Hard To Bear”, méritait d’être mentionné.

En regard des états de service des deux albums précédents remplis d’audace, This Is Not The World avec son format resserré ferait office de disque de commande. Soit, mais un disque de commande étrange, détourné à la façon d’History of Violence de David Cronenberg. Car quelque chose se trame derrière cette vendetta punk, où se dessine en filigrane un règlement de compte avec leur ancienne major (le coup de poignard dénoncé sur « Walking Backwards ») et des structures mélodiques qui restent somme toute très tordues. Cette fougue revancharde, presque surjouée mais diablement entêtante, met en lumière un double jeu savamment orchestré et des plus intrigants.

Enfin, pourquoi allouer la mention « P » à ce disque qui semble ne rien inventer si ce n’est remettre au goût du jour une formule qui a fait ses preuves ? Tout simplement parce que This Is Not The World s’élève au-dessus de la médiocrité ambiante du rock anglais. Il ridiculise la concurrence. Depuis quand n’a-t-on pas entendu pareille résistance rock sur le sol de sa Majesté – exception faite de British Sea Power ? Et dire que pendant ce temps là, les masses continuent d’encenser Bloc Party et Sons & Daughter… Il y avait une injustice à réparer. Voilà qui est chose faite.

– Le site officiel de The Futureheads

-Lire également la chronique de Futureheads – News & Tributes (2006)