En dépit de son aspect cartonné, l’objet s’avère précieux et unique, maculé de peinture (une conception originale de Magali Novion et Mathieu Immer), selon une technique inspirée de l’expressionnisme abstrait (les fameux dripping de Pollock). Limité à 500 exemplaires numérotés, Being, le disque, est un solo décomposé en deux morceaux – respectivement 70’28 et 3’32 minutes – du contrebassiste Paul Rogers, enregistré au Musée d’Aquitaine, le 13 Avril 2007. Fabriqué par Antoine Leducq à Nîmes, l’instrument massif et charnu utilisé ce soir-là par le musicien américain tient d’une étrange mutation : une contrebasse à sept cordes couplée, au niveau de la table d’harmonie, à une guitare comprenant quatorze cordes sympathiques. Du dialogue frontal homme/instrument se dégage dès les premières minutes un sentiment paradoxal de mise en danger salvatrice, comme si l’improvisation ouvrait un espace sonore à la fois incertain et rassurant, parsemé de béances inquiétantes, d’obstacles invisibles, mais aussi propice à la quête de sens, l’abandon de soi et la joie d’un art en pure perte. Au point que, très vite, l’auditeur ébahi ne sait plus vraiment qui, du musicien ou de l’instrument, entraîne, domine, fait chanter l’autre. Tirant profit de toutes les possibilités sonores de son prototype de contrebasse, dérivant tour à tour vers les tonalités d’un violoncelle, d’une guitare ou de percussions, Paul Rogers vise littéralement l’épuisement, un péril glorieux d’où le musicien solitaire extrait une beauté sidérante. De l’affrontement (avec la matière, le temps, le silence, le bruit, l’inconnu) naît un corps (à corps) qui se sait jouer. A l’heure de la dématérialisation galopante des albums, louons sans réserve le label bordelais Amor Fati, petit par la taille mais grand par les audaces et le farouche désir de résistance, de proposer aux mélomanes avertis des oeuvres pensées pour durer, belles à regarder et passionnantes à écouter.
– Le site de Amor Fati