Le collectif formé autour de Robert Fisher, récemment installé à Boston, a suivi son mentor sur les routes de l’Écosse. Pour un résultat forcément hanté.


Robert Fisher est sans doute une sorte de troubadour moderne, un artiste étonnant qui n’en finit pas de se nourrir des rencontres exceptionnelles qui jalonnent sa route – forcément poussiéreuse. Point de fuite d’un faisceau de collaborations – on compte régulièrement dans ses rangs des membres de Lambchop, de The Walkabouts, et tout autant d’illustres inconnus très talentueux – il canalise depuis la formation de son collectif William Grant Conspiracy les aspirations authentiques et multiformes de la musique américaine.

Dans sa boulimie de collaborations, toutes plus judicieuses les unes que les autres, Fisher ne se doutait pas qu’un jour il serait lui-même abordé, au hasard d’un concert du groupe à Glasgow, par un certain Malcolm Lindsay, compositeur et arrangeur de son état, spécialisé dans les cordes et les pièces orchestrales. Plusieurs voyages transatlantiques plus tard, Robert Fisher, en P.D.G. du folk, pourrait se vanter d’avoir désormais une succursale parfaitement opérationnelle du côté de l’Écosse, en la personne de Malcolm Lindsay. Mais l’humilité et la passion vivante de ce monsieur, pour qui l’enrichissement se limite pour l’instant à la fulgurance des rencontres, interdisent la comparaison.

L’histoire a quelque chose de charmant, de parfaitement fortuit qui rajoute un voile de mystère à sa personnalité déjà complexe. Robert Fisher est approché par un compositeur grisonnant, un peu gauche, à la fin d’un de ses concerts en Écosse alors qu’il se tient derrière la table à tréteaux sur lesquels sont posés les habituels produits de merchandising. « J’aimerais travailler avec vous », lui lance t-il. Ça a l’air si simple. Et c’est pourtant bien ainsi qu’est née cette collaboration, à l’origine de ce septième album Pilgrim Road. Après une correspondance ténue via e-mail, Robert décide fin 2006 de se rendre en Écosse pour une courte période d’écriture à quatre mains et d’enregistrement dans le studio personnel de Malcolm. Presque un an plus tard, et grâce au concours de membres habituels de William Grant Conspiracy et de musiciens de la scène locale écossaise, Pilgrim Road voit officiellement le jour.

On lit entre les lignes de cet album apaisé, une collaboration aussi respectueuse qu’enrichissante pour les deux principaux protagonistes. “Lost Hours”, qui ouvre l’album – et a failli donner son titre à l’album entier – voit Robert Fisher marcher sur les pas de Nick Cave : même classe innée, même voix profonde à peine guidée par les accords de piano et la chaleur des cordes. «There comes the time when less is more», entonne-t-il de son timbre vibrant. La sobriété sera en effet de rigueur au cours de ces dix vignettes qui survolent le folk le plus traditionnel, en le teintant imperceptiblement de gospel, de blues, et d’un rendu parfois symphonique.

Toute lapsteel dehors, “The Great Deceiver”, qui témoigne de la foi un peu ébranlée de Robert, est épaulé bientôt par le joli filet de voix de l’écossaise Iona Mc Donald, et se termine en un gospel lumineux, bientôt repris en clôture de l’album – “Vespers”. Le travail de Malcolm Lindsay est à plusieurs reprises remarquable, tant ce dernier a su écrire pour le groupe des partitions de cordes habitées sans être jamais pompeuses. À l’image de “Jerusalem Bells”, véritable écrin qu’ébauche la sincérité d’un violoncelle ou la tristesse rentrée de cuivres, ou “Miracle on 8th Street”, où l’ambition symphonique jaillit au détour d’une ballade qu’un certain australien vêtu de noir aurait pu revendiquer – phrasé compris. La solide formation classique du compositeur écossais transparait dans la gestion de l’acmé, ce temps fort du morceau qui éclate après une longue montée en crescendo. Ainsi, après une introduction ourlée de pizzicati de plus en plus caressants, “Painter Blue” prend de l’envergure grâce à l’envolée des cuivres et de la batterie. Et même les fausses notes de “Water & Roses” – où la voix traînante de Robert oublie l’impératif de la justesse – sont magnifiées par l’intensité sourde des cordes, tout en épure.

Le hasard a fait que la route de ce pèlerin désabusé qu’est Robert Fisher a croisé celle de Malcom Lindsay. Le résultat, lui, ne doit plus rien au hasard : plus qu’un album bien écrit et élégamment arrangé, c’est l’adoubement officiel d’un nouveau membre émérite de William Grant Conspiracy tout autant que le témoignage touchant d’une amitié transatlantique.

– La page MySpace

– Le site de Loose Music, apparemment piraté récemment