Un duo de la côte ouest torture des pop songs sous un bruit de fond perpétuel, combinant la jeunesse de Sonic Youth et l’amour éternel de My Bloody Valentine. Un disque pop servi à température du four 200 degrés.


En écartant un peu de côté les aspects véridiques, on pourrait inventer une autre histoire tout aussi crédible pour expliquer un tel déluge bruitiste. Par exemple, la paire californienne Dean Spunt et Randy Randall auraient enregistré dans un local situé à proximité du site de lancement d’Ariane 5. Conséquence, les interférences provoquées par les réacteurs durant le décollage de la fusée ont court-circuité leurs pop songs d’une fantastique manière. La réalité est bien entendue tout autre. Optant pour une configuration « Black Keys », le batteur/chanteur Dean Spunt et le guitariste Randy Randall revendiquent haut et fort l’esthétique lo-fi. Une certaine approche rudimentaire et hautement universelle placée sous le sceau de la désinvolture arty, comme ils se plaisent à l’instaurer sur scène avec très peu de matériel et des bandes enregistrées à tout va. Ce qui ne veut en aucun cas signifier que l’entreprise sonne bâclée (et en se gardant bien d’écrire le mot inaudible…). Bien au contraire, Avec Nouns, nous sommes sous l’emprise d’un passionnant vacarme d’harmonies distordues.

Certes, Nouns ne cache pas ses influences, recyclant une impressionnante collection de disques-odes à la guitare électrique et à l’intelligence bruitiste. Derrière les halos de feedback et riffs cradingues bât l’urgence hardcore d’Hüsker Dü, les grattes vrillées de Sonic Youth en pleine narcolepsie Daydream Nation, et enfin, dernière influence et non des moindres, la sanguinolente valse shoegazing de My Bloody Valentine. Certainement grâce à la jeunesse du duo, cette énergie, pillée jusqu’au dernier bruit de fond, se retrouve ici rechargée et indiscutablement en phase avec 2008.

Prétendre que des ressacs de larsen percutent l’auditeur tout au long de Nouns est un doux euphémisme. Mais encore une fois, il s’avère que c’est avec peu de moyens que le terrain de jeu créatif devient illimité. Dénués de l’assise rythmique d’une basse, les No Age l’ont troquée sur “Miner” contre un drone aliénant tournant en boucle. Il en va que ce procédé s’avère hautement périlleux. Mais ici maîtrisé, il offre des perspectives excitantes à leur pop song de deux minutes. Car sous le volcan de ces irruptions expérimentales se décèlent de véritables harmonies. Et l’on avancera même une certaine cohésion. Déjà sur leur premier album compilatoire, Weirdo Rippers, No Age rassemblait des singles foutraques mais bouillonnants d’efficacité. Il faudrait aussi mentionner que le duo n’a pas eu peur de se frotter à la cantatrice des fjörds, Bjork, pour une reprise désorientée d' »It’s Oh So Quiet » – en écoute sur leur MySpace.

Sortez les bouchons en mousse, les assourdissants “Sleeper Hold”, encerclés de larsen et vrilles de vibrato Fender, ou encore “Ripped Knees”, et son refrain réceptionné au lance-flamme, laissent échapper une chaleur émotionnelle intangible. Trois plages plus loin, le diaphragme libère une profondeur de champ nettement plus claire et limpide. Le marteau-piqueur “Teen Creeps” aboutit à quelques secondes purement aériennes, et enchaînées par “Things I Did When I Was Dead”, avec nappes de distorsion électrique en état d’émulsion. “Keechie”, solarium instrumental où quelques arpèges apaisant drainent un No Man’s land de bruit blanc, révèle une science du son et du mixage très poussée. Sans conteste, No Age marche pieds nus sur un lit de braises avec une agilité déconcertante.

Nouns, ce serait un peu ces gigantesques colonnes de CDs empilés penchant dangereusement, photographiées sur le copieux livret/photo souvenir (68 pages !) de l’album : retirez un CD et tout s’écroule. Mais lorsque l’ensemble tient, l’édifice en impose.

– Leur MySpace

– No Age sur le site de Sub Pop