En 2003 le contrebassiste Henry Grimes enregistrait Nile River Suite, en compagnie de Dennis Gonzalez, Roy Campbell, Jr., Sabir Mateen et Michael Thompson, mettant ainsi un terme à une absence discographique longue de 38 ans pendant laquelle il fut essentiellement rattaché à l’unique album paru sous son nom : The Call (1965). Si la réédition de ce disque rare est une aubaine appréciable pour se plonger dans l’effervescence du free jazz new-yorkais des années 60, une période faste en terme de créativité et d’improvisation tous azimuts, elle permet surtout de saisir, au sein d’un incandescent trio, l’importance d’un petit maître trop méconnu. Un terme nullement déshonorant sous notre plume (on sait combien l’histoire des formes, y compris dans le domaine musical, se consolide en partie grâce à ces figures de l’ombre), tant le style de Henry Grimes influencera quelques prestigieux contrebassistes, dont l’éminent William Parker, qui lui rendra d’ailleurs en quelque sorte la pareille en participant pour beaucoup à sa récente re-découverte. Partenaire de Cecil Taylor, Albert Ayler ou encore Sonny Rollins, Grimes appréhende son instrument de manière pulsatile, à coup de pizzicati, frottements et autres tapotements de cordes, parfois presque comme s’il jouait du piano. Parcourue de long en large avec frénésie (l’ouverture de “Fish Story”) ou affection (les mouvements amples et posés à l’archet de “For Django”), maltraitée ou choyée, sa contrebasse s’apparente à un corps instable que le musicien semble sculpter à même le son au gré de ses inflexions. Sur la même longueur d’ondes, Perry Robinson, très justement mentionné dans le livret comme le co-leader du disque, n’est pas en reste et fait montre à la clarinette d’un aplomb à toute épreuve, multipliant les phrases incisives, dissonantes et accidentées (comme sur sa très colemanienne composition “Walk On” ou sur “The Call”, qui évoque certains « déraillements » d’Eric Dolphy). Plus discrètes, et pas toujours en place (« Fish Story »), les ponctuations de Tom Price à la batterie n’en demeurent pas moins essentielles pour permettre à ses comparses de bondir hors des sentiers battus tout en remettant un peu d’ordre dans ce formidable chantier.
– Le site de Henry Grimes
– Le site de Orkhêstra