Après l’énorme Apologies to the Queen Mary en 2005, la bête canadienne sort enfin de sa tanière. Les promesses seront-elles tenues ?


Il y a trois ans, l’explosion médiatique d’Arcade Fire fut le détonateur d’une nouvelle scène rock montréalaise – avec tout notre respect porté au pionnier Constellation – dont l’effervescence artistique ne semble toujours pas prête à s’éteindre aujourd’hui. Depuis, nos étagères débordent de CDs importés via la filière canadienne, terre d’accueil d’une nouvelle école du rock mutant, psychédélique et souvent lyrique. Ses plus brillants élèves à l’est se dénomment Frog Eyes, The Besnard Lakes, Islands et consorts – il reste aussi de la place pour les cousins de Vancouver avec Black Mountain et le vétéran Destroyer. Au sein même de cet incroyable vivier, les songwriters de Wolf Parade, Spencer Krug et Dan Boeckner, sont tenus responsables de cette profusion de disques avec leurs projets solo menés de front : Swan Lake, Sunset Rubdown (pour Krug) et Handsome Furs (Dan Boeckner). Mais s’il ne devait en rester qu’un, la postérité échoirait sans l’ombre d’un doute à la Parade du Loup. Coup de maître d’emblée, Apologies to the Queen Mary en 2005 a laissé une empreinte évidente et de nombreux diamants à ramasser (les fantastiques “I’ll Believe In Anything”, “Shine A light”, “Grounds For Divorce”…). Avec sa power pop catapultée qui se fait monstre et ses progressions intraçables, Wolf Parade fit autant sensation que ses amis Regine Chassagne et Win Butler.

La pochette effroyable, que l’on croirait signée de la barre de colle Uhu de Robert Pollard, n’a certainement pas rassuré la meute d’impatients – et dieu sait qu’il y en à – sur le contenu d’At Mount Zoomer. Elle s’intègre pourtant bien avec la couleur maladive du disque. Les sessions d’enregistrement se sont essentiellement déroulées au studio-paroisse The Church d’Arcade Fire perdu en pleine campagne québécoise, ainsi qu’à Montréal au studio Mount Zoomer (qui donne donc son nom à l’album) du batteur Arlen Thompson, crédité comme co-producteur et qui succède à Isaac Brock de Modest Mouse.

Délibérément moins puissant que le premier album, ce second opus fleure du côté des ballades exponentielles de Sunset Rubdown – sans toutefois totalement franchir cette limite du vide qu’affectionne tant ce dernier. Adeptes des harmonies acrobatiques sans filet en solo, avec Wolf Parade, Spencer Krug et Dan Boeckner tendent davantage à dominer la mélodie. Ça se complique néanmoins un peu sur At Mount Zoomer : la durée des morceaux s’allonge en conséquence, bien que l’album ne contienne que neuf plages – contre douze sur Apologies to the Queen Mary.

Hormis l’incroyable “The Grey Estates” (et ses géniaux gimmicks vibrionnants), le format court et glam-punk qui avait fait leur réputation s’est un peu délayé. Ce sont les claviers bariolés d’Hadji Baraka qui apportent le bizarre, entre kitsch new wave et fantaisie flamboyante. Ce goût est parfois douteux, mais l’on se dit qu’à l’image d’un top model, ce quatuor a tellement de prestance qu’il peut tout porter, et ainsi tout transformer. Tel l’ensorcelant “Bang your Drum”, où l’on est entraîné dans une galerie baroque de mannequins de cire à l’esthétique Blonde Redhead. Hélas moins abouties sont les errances de “California Dreamer” et du mammouth progressif “Kissing the Beehive” qui sonne le coda du disque après 11 minutes de délirium – où l’on cherche désespérément comment déclencher l’alarme de sortie (elle ne sonnera hélas que trente secondes avant la fin avec un semblant d’élévation).

At “Mount Zoomer” ne déçoit pas vraiment, seulement l’ennui guette un peu entre quelques grands morceaux (“Call it a Ritual”, “The Grey Estates”…). Pourtant, on ne peut prendre en défaut cette inventivité inépuisable qui tourne encore à plein régime (“Call it a Ritual” toujours, et son piano grave à tomber à la renverse, où Krug transcende émotionnellement sa voix de mouton épileptique). Cette assise fondamentalement rock qui explose ses propres conventions en partant dans dix mille directions. Wolf Parade donne souvent l’impression d’écouter simultanément trois enceintes avec sur chacune un groupe différent : le Bowie glam à gauche (“An Animal in your Care”), un groupe de rock progressif à droite, et Television au milieu. Cette triple identité compressée en un bloc est digne d’une oeuvre de César. Attention toutefois que la partie droite ne prenne pas le pas sur les autres.

– La page MySpace de Wolf Parade