Par curiosité, dont on sait depuis qu’elle est un vilain défaut, Pandore ouvrit un jour une jarre d’où se déversèrent tous les maux dont souffre à présent l’humanité. Il est ainsi des gestes irréversibles. Gageons que si la première femme de la mythologie grecque avait avant cet acte fatidique écouté l’album qui porte aujourd’hui son nom, elle aurait revu par deux fois son dessein. Car s’exhume de ce dialogue au sommet, entre le pianiste Stéphan Oliva et le clarinettiste Jean-Marc Foltz, les vieilles chimères d’ombres qui habitent la nuit des temps. Recueillie comme peut l’être une méditation sur le mal, cette oeuvre commune saisit par sa force émotionnelle. Sans faire de l’émotion une denrée commode à avaler. Cette musique, que l’on qualifiera pour aller vite de jazz de chambre, ne mange pas à ces râteliers-là. Elle fait d’abord le vide autour d’elle, ménage son propos. A vouloir trop dire les choses, souvent on les alourdit. Oliva et Foltz préfèrent de loin l’ellipse au grand discours. Les non-dits au surplus de jeu. Dans les espaces ainsi laissés au silence miroite une eau trouble que l’on croirait prête à recouvrir ces mélodies lancinantes et serpentines. Rarement (“Le Présage”), une note ne prend le pas sur l’autre : lors de cette traversée de la nuit, la déambulation s’opère à pas de loup, chaque avancée mobilise une pleine conscience du lieu à investir, des points de fuite à tracer. Une échelle du monde se dessine progressivement, rabattement de deux sensibilités sur le champ (le chant) d’instruments qui se guettent, s’entendent, se déplient, se complètent, se confient, portés par une semblable acuité à lire de sombres perspectives. Et si parfois la lumière pointe, c’est sans doute que l’espérance ne s’est pas encore faite la malle. Superbe.
– Le site de Sans Bruit, où télécharger l’album