Donnant un bon coup de pied dans la fourmilière indie pop, ce groupe américain dégaine les mélodies et les idées d’arrangement avec une science et une exubérance sans frein dignes des plus grands noms du genre.


Il ne faut pas longtemps pour réaliser que PAS/CAL est d’ores et déjà un groupe à part sur l’échiquier pop. Avec I Was Raised On Matthew, Mark, Luke & Laura, son premier album, il joue d’emblée coup double, oeuvrant avec succès à la fois à l’intérieur du cadre strictement pop (tendance 60’s), par l’entremise d’un songwriting haut en couleurs, et en ses bords. Car si l’on voit bien d’où viennent les chansons de PAS/CAL (les Beatles, période Revolver, The Byrds, The Zombies, Elvis Costello, Burt Bacharach, Jimmy Webb, du beau monde en somme, sont des influences immédiatement perceptibles), il est en revanche difficile de savoir, dès l’entame de l’une d’entre elles, où elle va s’enfuir quelques minutes, voire secondes, plus tard. Le débordement préside à tout mouvement mélodique. L’allégresse a vite fait de contaminer une composition, aussitôt prise de tournis. Sans que toutefois cette généreuse énergie ne se disperse en pure perte, faisant tourner les pop songs à vide à force de les gonfler d’ambitions démesurées. Gourmand mais réfléchi, c’est ainsi que PAS/CAL dévore la pop.

Originaire de Detroit, cette formation (à ne pas confondre avec l’excellent groupe japonais Pascals) compte dans ses rangs des membres au patronyme aussi énigmatique que CSMR (alias Casimer, tête pensante du groupe, à la voix, aux guitares, cuivres, programmations et aux piano/synthé), Burgundy (basse, Moog), LTD (batterie), Panic (piano), Gene (guitares), Naud (voix, guitare électrique), Lauren Semivan (violons), Bem (voix), et pour des participations plus discrètes, LaShondra et Chip Porter. Présenté initialement comme un septet (soit les sept premiers cités ci-dessus), le groupe semble bien plutôt à géométrie variable, l’ensemble des musiciens (proche de la dizaine) étant rarement réuni sur une même plage. Et si la plupart de ces dernières mettent au moins en exergue la participation du trio CSMR/LTD/Burgundy, quelqu’unes chamboulent néanmoins sans coup férir cette configuration initiale (CSMR est par exemple absent sur deux morceaux). Une autre façon d’injecter de la variété au sein d’un collectif ouvert à tous les vents qui se refuse à la fixité et aux hiérarchies trop bien établies.

Mais revenons à l’essentiel : les chansons. Certains morceaux semblent en contenir plusieurs. A l’instar du délirant “We Made Our Way, We Amtrakked”, rempli de chausse-trapes et détours, ou de “Summer Is Almost Here”, articulé autour de son refrain éponyme et sans cesse tiraillé en son for intérieur par des velléités de nouveaux départs vers d’autres latitudes. Tout comme encore “Glorious Ballad of The Ignored”, morceau de bravoure sur les glorieux oubliés du système capitaliste, doux dingues et petites gens mis au banc de la société, qui, une fois commencé, déraille aussitôt pour changer de visage(s) et repartir de plus bel dans moult directions, sous l’impulsion de choeurs avenants, d’une batterie à la syncope changeante et d’un piano tantôt martelé, tantôt coulant, bientôt rejoint par une guitare à l’électricité plus que séduisante.
Une schizophrénie qui pourrait être volontiers fatigante (comme il lui arrive de l’être chez The Fiery Furnaces, duo plus déconstructionniste et expérimental tout de même), mais habilement exploitée ici grâce, notamment, à une finesse d’écriture étonnante de maturité. Cette douce folie sous contrôle communique toute leur singularité aux architectures harmoniques et se voit, par ailleurs, articulée à un propos idoine gentiment anarchique : la langue, les mots constituent un exutoire notable, reflet d’humeurs mi-amusées mi-révoltées parfaitement synchrones avec la musique. D’autant que le groupe, non content de maîtriser les dérapages en tous genres, s’avère également très convaincant sur des titres plus rock et linéaires, comme “Oh Honey We’re Ridiculous” ou “Little Red Radio”, qui évoquent la veine récente des New Pornographers, lorsqu’ils sont à leur meilleur.

Vers la fin du disque PAS/CAL nous gratifie, pendant près de dix minutes, d’une Suite Cherry composée de trois morceaux consécutifs, “Cherry Needs A Name” / “Cherry Tree” / “O My Cherry” : sorte de mélodrame musical en trois actes, teinté d’une douce folie et d’un burlesque loufoque sous lesquels peut se lire en filigrane une mélancolie inquiète. Une suite réussie qui combine suffisamment d’inventions sonores, de délicatesses instrumentales et d’ironie mordante pour asseoir une identité bien au-delà de l’esthétique indie pop traditionnelle, devenue chez certains un vieux socle rouillé guère attractif (cf. le dernier Weezer, proprement inconsistant comparé à I Was Raised On Matthew, Mark, Luke & Laura). Un finale des plus réjouissants qui vient apporter la certitude que l’on tient là un des albums, sinon l’album pop de l’année.

– Le site de PAS/CAL

– La page MySpace du groupe