Sans faire de bruit le guitariste londonien poursuit son exploration intransigeante de la douze-cordes avec un album qui sonne comme un aboutissement concis et magnifique.
Il faudrait ici, avant même d’écrire sur le cosmique et superbe Litany of Echoes, regretter l’indifférence hexagonale à laquelle semble malheureusement condamnées plusieurs générations de guitaristes qui s’essaient, souvent avec bonheur, à faire germer sans relâche les semences autrefois jetées par les Américains John Fahey et Robbie Basho, ou l’Ecossais Bert Jansch – pour citer les plus emblématiques. De Jack Rose à Paul Metzger, de Mike Tamburo à Eric Garbonara, de Ben Chasny à Kevin Barker, sans oublier bien sûr le vétéran Peter Walker, nombreux sont les guitaristes virtuoses à avoir récemment rendu viable l’idée d’héritage, sans que cette dernière ne rime avec photocopillage. Sans doute, ces guitaristes nous apparaissent-ils d’autant plus importants qu’ils sont méconnus, réflexe de preux chevalier du Net parti en croisade contre l’indifférence généralisée. Il n’empêche, en ses marges guitaristiques, tout un pan de la musique de notre époque survit comme il peut, se bat et s’écrit à l’abri des buzz médiatiques, ces comètes qui n’en finissent pas de polluer le silence et d’accaparer tous les regards. On leur préfèrera l’éclat des étoiles, le calme des esprits libres qui ont compris que pour durer il fallait nager à contre-courant du monde comme il va. Hors du temps.
A 27 ans, James Blackshaw a déjà enregistré six albums sous son nom. Certains s’en contenteraient. Lui n’en est qu’au début, construisant disque après disque une oeuvre imposante dont on peut deviner sans trop se tromper qu’elle laissera des traces. La musique, à son meilleur, ambitionne cela : tracer, dans l’ombre d’une présence choyée, les contours de ce qui lui succédera. Pour n’en point finir. C’est l’histoire d’un passage de témoin, plus que d’un passement de jambe à l’emporte-pièce. En ce sens, James Blackshaw est un merveilleux passeur. “Past Has Not Passed”, le titre du second morceau de Litany of Echoes, peut se lire comme une profession de foi, comme le refus de laisser passer cet instant qui durera toujours. Aux antipodes de tout conservatisme, l’art de Blackshaw préfère les réminiscences et les jeux d’échos, ce que signifient avec beauté les surprenantes ouverture et fermeture de l’album, qui ne sont pas sans citer Terry Riley : au piano, le musicien opte pour un jeu martelé, bourdonnant et répétitif, finissant là où il a commencé, et où ça ne saurait vraiment finir (“Infinite Circle”).
Comme sur le précédent – et tout aussi recommandable – Cloud of Unknowing (2007), le violoniste Fran Bury seconde le guitariste, mais cette fois-ci laisse libre cours à une inspiration plus déliée et néo-classique. Plutôt que de combler la solitude de James Blackshaw, il vient délicatement la souligner, l’amplifier, de sorte à la rendre particulièrement poignante. L’émotion, davantage que sur les précédents albums du londonien, semble d’ailleurs constituer le noyau central autour duquel tourne chacune de ses compositions, inlassablement. D’aucuns ne manqueront sans doute pas de le lui reprocher : Litany of Echoes est l’album le plus accessible du guitariste, le plus directement émouvant, là où les précédents opus pouvaient revêtir, parfois, une forme expérimentale et alambiquée. Mais sauf à vouloir séquestrer les musiciens dans des dogmes inflexibles, d’autant plus commodes à défendre qu’ils assoient la position dominante de ceux qui les portent comme des étendards, leur grandeur se lit souvent à l’aune de leur capacité, non à se réinventer, mais à cultiver les différents terreaux de leur jardin personnel. Cela, s’il le fallait, se vérifie encore ici : graviter autour de soi-même, plutôt que s’échiner à être soi-même, demeure le meilleur moyen de ne pas perdre de vue où l’on souhaite aller.
Question de recul et de mise en perspective. Pour atteindre une telle perfection d’écriture thématique, une telle sérénité dans le picking, une telle sensibilité dans le phrasé et de telles fluctuations dynamiques aucune concession ne doit être faite à la facilité. Litany of Echoes porte la marque des oeuvres rigoureuses, mais adressées comme une généreuse offrande à l’auditeur. S’entend sur cet album la quintessence d’un jeu, où l’épure est devenue reine, où la complexité affolante des enchaînements d’arpèges et la richesse des superpositions d’octaves, voire la longueur propre à chaque développement de morceaux, s’effacent au profit d’une clarté mélodique qui tient de l’évidence. De ces litanies de la douze-cordes qui convertiraient les plus profanes du genre.
– En écoute sur le Player : « Infinite Circle »
– La page MySpace de James Blackshaw
– Le site de Tompkins Square