« 59. 59 ». Soit l’instant furtif avant la bascule, le point de rupture temporel. Après, l’inconnu. C’est aussi la durée — et symboliquement le titre — de cet album proprement inclassable. Son titre synthétise merveilleusement l’univers désorienté de ce collectif londonien emmené par la chanteuse longiligne Sian Aherm, au faux air d’une Jeanne Balibar gothique. Défendus par les agitateurs du label brooklynois Social Registry (les pointus Growing, Blood on The Wall…), Sian Alice Group ne peut ainsi concevoir la musique sans la mise en danger, voire provoquer l’asphyxie chez l’auditeur. Il en résulte une oeuvre exigeante et sans filet, où les grilles mélodiques standards sont régulièrement outrepassées : acid folk, electro minimaliste, post-rock, free jazz des extrémités et musique d’avant-garde se télescopent au fil des belles errances de ces seize plages. On part de pianos amples déséquilibrés à des circonvolutions de guitares électriques sur “Contours” (voire cathartiques avec l’ex guitariste de Spiritualized John Coxon sur « Complete Affection ») ou encore des phases léthargiques à perdre pied, comme les 7 minutes 45 secondes de “When…”, dont l’épilogue échoue dans un jardin d’hiver avec des longs gazouillis d’oiseaux. L’ensemble a beau être éclaté et insoumis, il germe de ce dédale quelques purs instants de grâce mélodique : “ Kirilov”, ballade sépulcrale, les guitares crues, voire décapées de “Way Down To Heaven” (qui aurait pu être rebaptisé “Way Down to Dry”). Quant à la voix magnétique de Sian Aherm, celle-ci est aussi bien capable d’harmonies vocales ondoyantes que de lâcher prise et se tordre de douleur sans retenue. Les Venus baroques que sont Josephine Foster et Joanna Newsom ont trouvé en Sian Aherm une alliée de poids.
– La page Myspace de Sian Alice Group