Un duo perfectionniste New Yorkais aux antécédents déjà notables, accouche d’une envoûtante pop folk baroque. Sérieusement susceptible de nous détourner des Fleet Foxes & Co.


Même s’il est déjà entendu que la hype agaçante s’en est emparée et nous la survendra – mais justifié en regard de la beauté de l’oiseau – toute résistance à la folk baroque d’In Ear Park est inutile. Car nous avons beau savoir que le rayon pop/folk tarabiscoté ces temps-ci est suffisamment achalandé pour combler notre bonheur (les prodigieux Fleet Foxes, Midlake, Grizzly Bear…), quelque chose de supérieurement incontournable plane derrière ce deuxième album du Département des aigles, fière recrue folk de la section 4AD Europe. Department of Eagles est le nid créatif du duo New Yorkais Daniel Rossen – éminent guitariste de Grizzly Bear, chanteur occasionnel – et de son ami et colocataire Fred Nicholaus. La paire d’oiseaux perçants s’est adjointe en studio les services de quelques proches, dont le bassiste de Grizzly Bear, Chris Taylor, qui a produit et enregistré la bête, ainsi que le batteur Chris Bear.

Que d’ours sauvages pour une musique qui prétend à l’élévation bureaucratique (ou quelque chose dans le genre) ! En premier lieu, il sera donc difficile de ne pas tenter quelques rapprochements avec l’univers freak folk de la formation d’Edouard Droste (auteurs de deux excellents albums et d’un EP), puisque Department of Eagles compte en son sein trois de ses musiciens. Le point de vue ne serait pas déplacé, loin de là. Or, il ne faut pas y voir seulement une simple décalque ou une petite récréation pour Daniel Rossen, calée entre deux albums de Grizzly Bear, car le projet date déjà d’il y a sept ans. The Cold Nose, premier ouvrage lentement mûri, révélé en 2005 puis réédité en 2007, impressionnait déjà par son épaisseur bien singulière, jouant la carte de l’éclectisme atout coeur (folk, electro, hip hop, acid-rock…). Son successeur, le plus agencé In Ear Park surpasse son prédécesseur, mais peut-être aussi les productions de l’unique signature folk du label Warp. Guère surprenant pour ceux qui scrutent encore les crédits de pochette, le guitariste de Grizzly Bear signait sur Yellow House deux des meilleurs pièces de l’album (« Little Brother », « On a Neck, On a Spit »).

Il était une fois… ainsi pourrait s’ouvrir “In Ear Park” tant ce conte harmonieux, très ambitieux, suggère une valse folk irréelle, orné de mélodies au lyrisme troublant et de choeurs mystérieux. Quelques glissandos d’arpèges primitif comme savait si bien faire émulsionner John Fahey accueillent au bout de quelques secondes. L’auditeur traverse le miroir et découcre un manège déconcertant : l’équilibre instrumental se tient autour de présences et d’apparitions, d’orchestrations étranges truffées de toiles d’araignées, de bourdons de violons qui nous piquent et de choeurs doo wop comme exhumés des Orioles, Cardinals ou les Flamingos (tiens, encore des noms d’oiseaux).
Même si plus discret, le traitement chiadé du sampling et des césures électroniques (l’acidulé “Around the Bay”) se marie si prodigieusement dans cette peinture fantasmagorique d’époque qu’on ne soupçonne guère l’influence pourtant conséquente apportée.
Les arrangements gracieux sur “No One Does It” ont la saveur princière de Pet Sounds, autre merveille féérique. Pas moins. Le chant de Daniel Rossen, de sa voix frêle et courbée de barbu, nous enroule comme sur l’extraordinaire “Floating on the Lehigh”, escorté de choeurs grandioses, évoquant à nos yeux la majesté de quelques vieilles bobines françaises châtelaines : l’enchanteur Peau d’âne et l’immortel La Belle et la Bête.

Face à de telles splendeurs, il va de soi que les amateurs du folk onirique déviant d’Edouard Droste, mais aussi des Fleet Foxes, seront dans leurs petits souliers. De haute volée ? Indiscutablement.

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