Etablissant un pont aérien entre Londres et la Transylvanie, l’un des joyaux pop de la rentrée. Ces chapardeurs de grenier ont plus d’un tour dans leur sac.


Le londonien Oly Ralfe est de cette caste de touche-à-tout à qui tout réussit. Songwriter, multi instrumentiste, réalisateur de documentaire (primé) et de clips vidéo, l’éclectique jeune homme ne peut envisager son épanouissement artistique sous la contrainte d’un seul mode d’expression. Il en va de la survie de son inspiration. Dans le prolongement de ses idéaux, il n’est guère surprenant de retrouver dans la besace de son groupe The Ralfe Band une si forte identité vagabonde, éprise de jumelage culturel. Cette pop d’outre-Manche revêtue d’habits traditionnels de poupées russes, offre à entendre un métissage aussi cocasse que poétique.

Et pourtant, Swords, premier album sorti discrètement voilà seulement un an et demi, avait été trop rapidement affilié à la sensation américaine Beirut, désigné nouvel éclaireur de la pop folklo-balkanique. Si le « timing » d’apparition n’était pas à l’avantage de The Ralfe Band, nous lui préférions pourtant volontiers sa bohême légère qui respirait l’authenticité. Tandis que pour l’américain Zach Condon, l’étiquette « indie » faussement négligée sortait trop en évidence du costume. Aujourd’hui lorsque Beirut semble déjà sur son second album faire tourner sa polka en rond, Attic Thieves tend à confirmer nos premières impressions : The Ralfe Band grandit avec une élégance innée.

Toujours bastringue — ce qui n’empêche pourtant pas d’être plus posé et mélancolique — Attic Thieves déconcerte par son aisance à embrasser, voire vampiriser les genres. D’emblée, “Pop Eye”, pop song agitée qui fanfaronne, n’aurait pas dépareillé sur les deux premiers albums de Pavement. Mais le disque prend ensuite une direction moins nerveuse. Plus élaboré, le sans voix “Mirror Face”, plat de résistance du haut de ses six minutes, effeuille progressivement un thème au piano envoûtant. Le dépouillé “St Mark’s Door”, émouvante ballade funambule, ou encore “Lost Like Gods”, à tomber à la renverse, sont des invitations à la mélancolie pianistique classieuse. Lorsqu’il ne s’agit pas même d’une mélancolie radieuse.

Composé de vignettes hétéroclites ne dépassant généralement pas les trois minutes, l’ensemble de l’album reste cependant étonnamment coulé, fluide, comme emporté tranquillement par le courant de la Taïga. Sur les flots, Ralfe Band croise quelques fameuses péniches navigant sous pavillon non identifié (le minimalisme d’Erik Satie,Tom Waits, mais aussi The Kinks et le Dylan de Desire…), l’équipage d’Oly Ralfe n’hésite pas alors à monter à l’abordage pour s’approprier l’héritage des anciens, avec une belle assurance.

Au niveau des arrangements, la complicité entre Oly Ralfe (chant, piano droit, claviers, accordéon, guitare) et le multi-instrumentiste et ami d’enfance Andrew Mitchell (batterie, arrangements, percussions, guitare électrique) n’est jamais affaire d’accumulation sans but et emphatie. Ralfe Band, ce n’est d’ailleurs pas seulement le dialogue entre deux seuls hommes. Nombreux sont les hôtes d’un jour à s’être incrustés sur Attic Thieves, glissant quelques notes de guitare slide par ci et par là, trombone, mandoline, violon, trompette, clavecin, et l’on en passe… Par ses idées larges et son approche d’enregistrement en studio qui consiste à organiser des journées « portes ouvertes » sur bande, Ralfe band ne serait finalement pas un collectif autour d’un duo, plutôt qu’un simple duo.

In fine, que reste-t-il d’anglais dans cette formation ? Peu de choses musicalement, mais plutôt un certain état d’esprit insulaire, dirons-nous. Il y a par exemple dans “Helmoutsine” (avec ses trompettes pouet pouet), une fantaisie, un humour très anglais typiquement absurde. De l’art subtil de se moquer de soi-même, tout en gardant son flegme intact. Cette capacité là n’est pas donnée à tout le monde…

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– Lire également notre entretien avec Oly Ralfe