On a eu tort d’oublier si facilement UNKLE, tant il vogue à mille lieues de la superficialité ambiante, nous rappellant que le mot « ambition » n’est toujours pas un gros mot dans la musique. Après l’apocalypse selon Saint-James sur War Stories, voici le cinéma de Dr Lavelle.


UNKLE est-il un groupe ? Un concept ? Ou tout simplement une marque ? Difficile de savoir où va James Lavelle en 2008 avec cet avatar qui fit de lui l’homme à abattre lorsque parut Psyence Fiction en 1998, un O.V.N.I. qui donnait à entendre une musique mutante, nervurée de vide et puissamment sombre. Dix ans après, le britannique livre le quatrième album d’UNKLE et ne semble plus intéresser grand monde. Il faut dire que l’abstract hip-hop des débuts a laissé place à une electro cérébrale, faisant la part belle à une certaine forme de rock lyrique exigeant un certain degré de concentration. Pour preuve, les invités d’UNKLE s’appellent aujourd’hui Gavin Clark (Clayhill), Josh Homme (QOTSA) ou Joel Cadbury. On est donc bien loin de l’heure glorieuse de l’association Lavelle/DJ Shadow qui se jouait de Mike D ou Kool G sous enseigne MoWax. Pour autant, faut-il jeter ce nouveau bébé avec l’eau du bain ? Pas si sûr.

Après un Never, Never, Land trop décalé et abscons en 2003, Lavelle s’était ressaisi en 2007 avec War Stories, un disque d’une beauté profonde et glaciale, infini et ensorcelant — accessoirement oublié de la plupart des bilans de fin d’année, le nôtre y compris, voilà donc une injustice à peine réparée –, qui réunissait une fois de plus un casting de rêve essentiellement composé de fidèles : on y trouvait déjà Josh Homme et Gavin Clark, Ian Astbury (The Cult), ou encore Chris Goss aux côtés des jeunes membres de The Duke Spirit. On pensait que cette rémission encourageante serait lente. Contre toute attente, il a fallu à peine un an pour voir surgir un nouvel album, autant dire que la surprise est de taille.
Lourd de vingt-deux (!) compositions et s’étirant sur près de 80 minutes (re-!), End Titles… Stories For Films, comme son nom l’indique, est essentiellement basé sur ce que le septième art a inspiré à James Lavelle. Inutile à ce stade de préciser que le cinéma de l’électronicien ne lorgne ni du côté de Disney ni de celui de Vincente Minnelli, rappelant plutôt la science-fiction ou l’anticipation, voire le surréalisme. Ce disque est à l’image de la jaquette, résolument gris. Or c’est la déclinaison quasi-ininterrompue de cette couleur dans une ambiance de fin du monde (ô combien d’actualité !) sur pellicule qui rend End Titles… passionnant. Car Lavelle explore comme il sait si bien le faire tous les tourments de l’âme d’un être humain confronté à un avenir cataclysmique. Pas très réjouissant certes, mais suffisamment varié pour susciter bien autre chose qu’un intérêt distancié.

James Lavelle, en plus de savoir s’entourer à merveille, est avant tout devenu un songwriter consistant, privilégiant aujourd’hui une écriture traditionnelle à la déconstruction rythmique des débuts, mais une écriture qu’il ne se prive pas de disséquer ou d’écarteler au coeur de morceaux fuyants, massifs et intangibles. Ce nouvel opus recèle même, ça et là, de vrais tubes en puissance, portés par des interprètes de hautes volée toujours triés sur le volet et systématiquement appuyés par une rythmique étourdissante (probablement l’élément le plus fascinant d’UNKLE encore aujourd’hui). Outre l’éternelle voix de Gavin Clark, Josh Homme une fois de plus transcende une “Chemical” toute en circonvolutions labyrinthiques, soutenue par un piano brinquebalant, une guitare assassine et une batterie littéralement barbare. Plus loin, ce sont les inquiétants Black Mountain qui viennent torturer “Clouds”, figurant à merveille ce moment qui précède tout juste la déferlante d’un orage meurtrier. Ou alors, c’est sur le mode strictement instrumental que UNKLE offre son titre le plus porteur avec “24 Frames”. Mais le choc vient sans conteste de “Open Up Your Eyes”, une vignette strictement acoustique dans laquelle le cinéaste Abel Ferrara vient poser une voix cassée sublime de tristesse sur un texte à l’intimité rare.

Sous son architecture baroque, James Lavelle continue de confronter son art aux mouvements tectoniques les plus perfides de la conscience humaine. Dommage que sa créature UNKLE soit pour beaucoup déjà rangée au musée (des sciences), car il y a encore fort à apprendre dans l’histoire de la musique, surtout quand certains de ses acteurs les plus marquants continuent d’oeuvrer dans l’ombre. Et c’est souvent dans l’ombre que ces personnages se sentent le mieux. Inépuisable.

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