On savait la musique capable de nous parler, à l’intérieur. Ce nouveau trio du saxophoniste (alto et soprano) François Carrier nous le souffle à l’oreille comme un secret bien gardé et enfin révélé. À l’assommant babil, toutefois, est préférée la parole économe. De celle qui touche droit au but, sans épouser la logique d’une rectitude contrite. Se fait au contraire jour sur Within, entre deux ombres, parfois au bord du silence, une danse faite d’élans, de pauses, de paliers, d’enchevêtrements et de contrepoints à même de donner à entendre une profondeur inouïe du son. À l’origine de telles vibrations, saisies en concert durant le Calgary Jazz Festival en juin 2007, la contrebasse de Jean-Jacques Avenel, aussi poignante et consistante que lorsqu’elle accompagnait naguère Mal Waldron et Steve Lacy (One More Time, 2002), complétée de la batterie véloce et scintillante de Michel Lambert, fidèle complice de Carrier depuis de longues années. Lequel, entre empressement et langueur, découpe des galbes harmoniques étincelants et heurtés, insolents et délicats, tout en se mouvant, et s’émouvant sans doute, dans sa propre liberté. Nous serions tentés d’écrire que les trois hommes n’en font ici qu’un, s’il n’était à l’oeuvre une plus complexe dialectique balayant ce qu’il convient bien de désigner comme un cliché tenace, garant d’une soi-disant réussite en matière de musique improvisée. C’est dans le détachement mutuel, sur fond de commune mesure, plutôt que la plate osmose collective que Within atteint un degré de haute spiritualité. Au trio qui fait corps se substitue le coeur indivisible de trois musiciens. Le renversement a son importance : il porte à l’écoute candide, au rayonnement attentif, à l’éclosion consentie. Un art de la saillie, enchanteur et dérobé, d’où sourd l’écho d’une matière musicale dense et spontanée, qui n’est peut-être autre que la chair du monde.

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