Du blues traversé par de lancinantes complaintes de didgeridoo. Sur le papier, ça fait peur, sur disque, c’est juste beau.


Si Xavier Rudd nous était apparu comme un énième avatar de Ben Harper au moment de mettre un pied sur le vieux continent avec Food In The Belly (2006), il semblerait qu’au fil de sa carrière, l’Australien prenne le chemin opposé de celui de son alter ego déiste. Parti sur des chemins soyeux, dépouillés et alter-mondialistes, le barbu surfeur se radicalise d’album en album. Le folk de ses débuts est scarifié, maltraité, écartelé. C’est annoncé dans le titre, plus question de Nick Drake, on pense bien volontiers aujourd’hui au blues âpre et parfois même violent d’un Junior Kimbrough. Comme si l’artiste, après s’être fait accepté aux yeux du monde, décidait de dévoiler enfin son vrai visage. Celui d’un auteur compositeur de très haute volée aux convictions aussi évidentes que profondément ancrées.

Le didgeridoo, instrument mystique de sa musique, traverse aujourd’hui de longues plaines hantées, habitées par des bêtes féroces, à l’affût, prêtes au massacre. Mais on n’en est pas encore là, Dark Shades Of Blues illustre la battue, allant tantôt du côté des prédateurs, tantôt du côté des proies. Rudd varie ainsi les plaisirs, s’amusant admirablement de sa six-cordes, comme s’il passait d’un concert hippie à une cérémonie vaudou en un clin d’oeil. Désormais appuyé d’un batteur et armé d’une pédale wah-wah, il alterne ballades chanvrées et mélopées sanglantes, n’évitant jamais trop longtemps le reggae — “Edge of the Moon” –, voire même le ragga — “Secrets”. Il s’éloigne donc de Ben Harper (sauf pour la voix) et s’approche désormais d’un modèle bien plus illustre, Jimi Hendrix.

Certes, le blanc bec puise ainsi allègrement à la source de nombreuses cultures dont aucune n’est « blanche » (pour faire court), avec en point de mire logique la culture aborigène, sans jamais se ridiculiser. Il fait au contraire preuve d’un grand respect et d’une ouverture d’esprit admirable, sachant marier ces cultures ancestrales à un son résolument rock sans laisser la moindre couture visible. Dark Shades Of Blues s’étire sur douze titres qui montent en puissance émotionnelle, émotion figurée aussi bien par la douceur que par l’électricité, faisant ainsi penser à un autre porte-voix de minorités, le grand Otis Taylor — dont on ne saurait que trop recommander, par exemple, l’extraordinaire Respect The Dead (2001) pour comprendre le rapprochement. De titre en titre, l’album envoûte, hypnotise, sidère, sans grand artifice pour autant. De passages apaisés dont on sait qu’il maîtrise parfaitement les règles — “Shiver”, “Hope You’ll Stay” — aux déflagrations carnassières — “This World As We Know It”, “Up In Flames”, “Uncle” –, le songwriter délivre son message de paix sans forfanterie ni raccourcis, n’oubliant jamais que pour être entendu la forme possède au moins autant d’importance que le fond. Et d’offrir un album à l’image de son continent, aux paysages spectaculaires dans leur dénuement, changeants et écrasants.

Sans revêtir les nippes d’un messie de pacotille, sans théâtralité ni arrogance, Xavier Rudd se contente de chanter et de jouer de tous ses instruments le plus naturellement du monde. Et le naturel, quand il est servi avec autant de talent et de modestie, confine au majestueux. Un disque en tous points somptueux.

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– Lire également la chronique de Food In The Belly