Décidément pas à un contrepied près, le grand Joseph s’est offert un vrai groupe pour livrer un immense album de pop-folk apaisé et lumineux au moment où on l’attendait encore en ténébreux solitaire.
C’est désormais officiel, Joseph Arthur est aujourd’hui un groupe, un vrai. Le grand maigrichon nous avait déjà offert une première expérience grégaire, il y a un an à peine, avec Let’s Just Be, un disque bancal et équilibriste, dans lequel le somptueux côtoyait le grand n’importe quoi, preuve d’un génie souvent auto-mutilé qui avait bien besoin d’être entouré. Cela faisait déjà longtemps que l’on pointait une boulimie d’effets sur ses précédents efforts, ne sachant plus trop quoi attendre de sa capacité à se reconstruire musicalement, tant il avait tendance à grimer outrageusement ses éternelles et magnifiques compositions à grands coups de pinceaux synthétiques dégoutants ou de boîtes à rythmes vampiriques. Pour autant, nous aim(i)ons pleinement ces albums malades, comment résister à Redemption’s Son ou Our Shadows Will Remain, tous deux porteurs de ses compositions parmi les plus ambitieuses, même gravement saccagées. La rémission commençait à apparaître sur le modeste Nuclear Dream que nous nous étions empressés de porter au pinacle, et qui semble bien fade aujourd’hui face à Temporary People, un de ses disques les plus aboutis depuis l’inépuisable Come To Where I’m From. Il faut dire que Joseph Arthur est de la trempe de ses songwriters progressivement devenus immenses et dont on tolère de plus en plus difficilement les exercices de styles quand ils sont livrés en tant que tels, sans autre ambition que l’exercice justement. Ne restaient plus que ses échappées hors de tout sentier pour se consoler ; et question lots de consolation, Joseph Arthur se pose là, il suffit pour cela de jeter une oreille sur les quatre EP patiemment égrenés jusqu’ici — qui ne portent que son seul nom au passage — pour se rassurer sur ses capacités toujours intactes. Et finalement, Let’s Just Be, qu’on ne savait plus trop où classer dans cette discographie sinueuse, ne s’avère être rien d’autre qu’un tour de chauffe, un warm-up avec désormais sa propre écurie, The Lonely Astronauts, avant la course sur la piste aux étoiles qui se devait d’être éminente. Et d’éminence, il en est question dans les plus subtiles courbes de Temporary People.
Sa facilité à composer la chanson qui tue, le single ravageur ou la ritournelle instantanément gravée dans nos têtes de moineaux pourrait décourager des contingents de suivistes. Une seule écoute de son septième album suffit à se l’accaparer immédiatement, à le reconnaître comme s’il avait accompagné notre vie depuis toujours. Temporary People est de loin son disque le plus limpide, le plus évident, tout simplement le plus classique. Un recueil à même de convoquer des cohortes de nouveaux fans dans les travées des salles de concerts qui accueilleront un Joseph Arthur apaisé, heureux, qui ne se cache plus derrière ses malheurs et qui s’affranchit enfin de ses modèles en les exposant au grand jour. Le Joseph Arthur nouveau est ouvert aux autres, jovial, enjoué même à plusieurs reprises, partageant son amour des Rolling Stones ou de Bob Dylan avec son public (le fidèle comme le nouveau), puisant dans les grands classiques pour colorer ses créations. Joseph Arthur est enfin vivant à ses yeux, ce qu’il répète à de nombreuses reprises dans “Sunrise Dolls”.
Ce qui frappe dans ce nouvel album, outre sa facilité d’accès, c’est l’homogénéité de son humeur, son côté solaire, entièrement lié à son classicisme justement. Et cette approche décomplexée de l’aspect classique de son art, jusque là jamais embrassé avec autant de naturel, ne l’affadit pas un seul instant. On reste béat devant la luminescence de titres comme “Turn You On” ou “Faith”, ou devant l’évidence mélodique de la chanson titre, de “Look Into The Sky” ou plus encore de l’immense “Sunrise Dolls”. Et l’exécution en groupe renforce considérablement l’impact de son écriture, contraignant l’auteur halluciné à une rigueur musicale parfaitement maîtrisée, ne jouant plus pour lui mais avec les autres, s’imposant un cadre resserré dans lequel il lui resterait un champ suffisant pour laisser éclater son ébouriffante soif de chanson. Ce qui ne signifie pas pour autant que ce champ est étriqué. Et c’est sa très grand force, s’il ne peut plus déborder sur les côtés, il va donc s’extirper du marécage dans lequel il risquait de se noyer, et en profiter pour tirer son monde vers le haut, avec pour seul objectif une rigueur musicale toute entière dévouée à l’émotion du moment. Et faire de The Lonely Astronauts un groupe robuste et facile, en qui il voue une confiance aveugle et sur lequel il s’appuie intégralement. Libéré des carcans imposés par ses expérimentations sonores, le chanteur n’a plus qu’à s’inviter en barde, offrant ce qu’il sait faire le mieux, des chansons toutes simples. Et belles surtout, très belles même.
L’animal sauvage a trouvé une meute au sein de laquelle s’épanouir et s’exprimer le plus naturellement possible. Et finalement, Joseph Arthur, apaisé, délivré de ses démons, a enfin réussi à créer le grand album de pop-folk que nous attendions de lui depuis très longtemps, un disque à la fois modeste et magistral. Un disque à l’image de son auteur aujourd’hui, profond et avenant.
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