Au départ, il y a des images, celles de The Sun Shines Bright de John Ford (1953). Puis une musique, signée Stephen Colins Foster (1826-1864), qui fascine depuis plus de vingt ans un producteur cinéphile, Philippe Ghielmetti, dont on connaît déjà le goût assuré pour les projets pensés autour du jazz et du septième art (dernièrement encore l’envoûtant Ghosts Of Bernard Herrmann de Stéphan Oliva). Enfin, une coïncidence heureuse : en 2003, pendant l’enregistrement du remarquable Armistice 1918, le violoncelliste Matt Turner fait part à Ghielmetti de son envie de consacrer un disque à Foster, considéré à juste titre comme le « père de la musique américaine ». Rendez-vous fut donc pris. Accompagné de Peg (voix) et Bill Carrothers (piano), Matt Turner dévoile aujourd’hui les treize pièces d’un album de toute beauté, parcouru de long en large par le doux frisson d’une mélancolie vagabonde. Au sein de climats intimistes se raconte une histoire qui promène en son ombre nos souvenirs rendus vivaces, vaste creuset d’images et de solitudes. Des mélodies (re)connues (“My Old Kentucky Home”, déclinée cinq fois, “Oh ! Susanna”, “Beautiful Dreamer”), oubliées en quelque coin de notre esprit, donnent lieu, sinon présence à un tourbillon de sentiments tapis dans notre mémoire. Cela au rythme de morceaux enchaînés avec un art accompli de la mise en son, qui est aussi une manière de mise en scène : chaque musique de The Voices That Are Gone, rendue immédiatement familière, trouve à imprimer sa force émotionnelle au regard de celles alentour, de sorte à composer un tableau harmonique à la fois homogène et contrasté où se nouent drames et bonheurs intimes. Du solo à l’association de timbres piano/voix/violoncelle, du blues à la musique de chambre, de l’utilisation attendue ou dévoyée des instruments (étonnant violoncelle transformé en guitare bluesy sur “Hard Times Come Again No More”, qui voit par ailleurs le chant de Peg Carrothers se décupler en choeur gospel) se projette une oeuvre trop longtemps restée en sommeil, qui vient s’imposer comme un moment de douce lumière.
– Le site de Illusions Music