En affinant encore son langage musical, à la croisée du folk, de la pop et de la musique baroque, cette formation d’oiseaux rares survole ses contemporains, sans le moindre opportunisme moderniste.


Avec Birds, leur second album après un précédent éponyme, les membres de North Sea Radio Orchestra se sont définitivement construits une cage en or. Certains pourraient trouver le lieu exigu, eux y inventent un monde à nul autre pareil. Il est des endroits dont la topographie a priori réduite ouvre pourtant sur des espaces insoupçonnés, dont seul l’imaginaire parvient à dessiner les lignes de fuite. Tout l’art de cette formation londonienne consiste, en quelque sorte, à s’enfermer pour mieux s’échapper. S’enfermer disons-nous : précisément dans une pop-folk de chambre qui, avec ses accents médiévaux, semble ne pas dater d’aujourd’hui. Pianos, guitares acoustiques, basson, violons, violoncelle, clarinette, hautbois, organ, percussions et oboe, associés à la voix diaphane de Sharron Fortnam et celle plus grave du leader Craig Fortnam, sont les éléments composites d’un univers musical parfaitement agencé qui semble avoir traversé les âges sans souffrir du poids des années. Au contraire, cette musique folk d’un autre temps sonne bien plus actuelle que bon nombre de tentatives modernistes, coups de couteau dans une eau huileuse censée faire briller ceux qui s’y baignent. L’écoute de “Golden Cage”, le morceau placé en fin d’album, qui n’est pas sans rappeler les chansons feutrées et délicates des précieux Damon & Naomi, en est le parfait exemple : le chant du couple Fortnam marié avec une légèreté pop confondante à quelques notes de guitare acoustique et des percussions déposées au coin de leur voix, ravit par sa simplicité presque déroutante, son élan mélodique véritablement atemporel.

Tout l’album tend en réalité vers ce dernier et beau moment qu’est “Golden Cage”. À la dispersion stylistique si louée ces derniers temps, pour une réussite esthétique rarement obtenue à l’arrivée, North Sea Radio Orchestra préfère les espaces musicaux évidés où s’éprouve une densité du temps et du lieu. Pour cette formation qui compte pas moins d’une douzaine de musiciens dans ses rangs, la musique est ce lieu que l’on habite avec sa mémoire et modestie, sans se soucier du brouhaha stérile de ses voisins. À demeure, le fantôme de William Blake se livre à quelques apparitions poétiques, des passages purement instrumentaux déploient avec agilité leurs ailes, donnant naissance à de petits miracles harmoniques (le voluptueux “Copt Gilders”, le poignant “Harbour Wall”, le savoureux intermède “Guitar Miniature # 2”, le lyrisme posé de “Personent Hodie”) et, à fleur de notes, vibre avec pudeur et discrétion une profonde saisie du temps. Si North Sea Radio Orchestra se réfère certes à un passé lointain, c’est moins avec le souci de le dépoussiérer que de lui trouver une forme en accord avec des problématiques contemporaines. Il est des cages où la liberté et la créativité ont bel et bien élu domicile. Des cages où le temps sort de l’ombre et se regarde filer avec légèreté entre les barreaux.

Pour aller vite, on dira des londoniens qu’ils injectent de la pop dans la musique baroque ou, ce qui revient finalement au même, qu’ils revisitent la musique de chambre à l’aune du folk. Au fond, il ne sera question, ici ou là, que de lentes métamorphoses : se déploie en effet dans ces chansons une musicalité qui, tel un fluide, inonde chaque morceau de musique et, ce faisant, leur fait adopter un mouvement courbe, gracieux et plein d’aisance. Sur “Now Welcom Somer”, on observe tout d’abord une voix féminine soutenue par des arpèges de guitare, une introduction qui pourrait laisser penser de prime abord que le morceau à suivre sera d’obédience folk, à la manière de Pentangle. Puis, sans rupture de continuité, un choeur masculin et une orchestration plus soutenue (cordes et clarinette) situent les choses davantage du côté de la musique classique, avant qu’une nouvelle progression mettant en écho un ensemble de voix masculines/féminines déplace le curseur vers une pop de chambre aérienne, limite wyattienne. Le tout se terminant sur deux énigmatiques minutes de notes de synthé, trilles sonores qui évoquent quelque souvenir de musique sérielle.

À l’image de cette plage, et donc aux antipodes de greffes forcées et contre-nature, s’entend une respiration dans chaque chanson de North Sea Radio Orchestra, un coeur qui bat, depuis toujours, et qui n’est pas prêt de s’arrêter malgré la danse des orientations, aussi anachroniques soient-elles. On le sait, la pop, par essence, donne la main — au passé comme au futur, au futur qui se souvient –, inclut un geste vers l’autre, le désir de partage, d’être ensemble. Ce rapport souvent considéré en fonction de l’auditeur (l’efficacité d’une chanson qui se doit d’être addictive et généreuse) s’établit aussi au sein de la musique en train de se jouer : elle est une fête où les convives/éléments constitutifs triés sur le volet (genres abordés, références citées, instruments sollicités d’hier et d’aujourd’hui) font masse, voire commémorent. Au-delà cette capacité à séduire les foules sentimentales, à laquelle trop souvent on la réduit, la pop se présente aussi comme un lieu vivant de transmission, de survivances, un foyer chaleureux où des hommes dialoguent avec leur mémoire. Il en va assurément ainsi de la cage dorée de North Sea Radio Orchestra.

– La page MySpace de North Sea Radio Orchestra

– Le site de Oof! Records

– Lire la chronique de North Sea Radio Orchestra – S/T