Live At Belleville d’Arild Andersen, Passages des Fées du Rhin : la proximité des sorties respectives de ces deux disques nous invite à une mise en parallèle qui éclipse le premier à la faveur du second. À trio équivalent sur le papier — saxophone ténor/contrebasse/batterie –, l’album des Fées du Rhin, comme son titre l’indique sans ambages, répond à une esthétique du détour et des Passages quand Live At Bellevile se déploie comme un fleuve mouvementé aux remous fort appréciables mais aux zones de calme plus dispensables (cf. la chronique plus bas). On préfèrera ici les “Drames d’un instant”, les arborescences et écheveaux de perturbations dynamiques aux tempêtes et accalmies clairement délimitées, tous ces grands chamboulements et velléités d’indépendance qui retombent finalement à plat. Enregistrée au studio Pigalle en janvier 2008, la musique des Fées du Rhin (soit Daniel Erdmann au saxophone, Benjamin Duboc à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie) tire sa nature éminemment énigmatique et fuyante d’un texte d’Henri Michaux, dans lequel d’inquiétantes sirènes attirent l’attention de l’auditeur. Pareil sentiment se dégage à l’écoute de leur premier album. Formes enterrées soudainement apparentes, thèmes reclos bientôt offerts, volutes des vagues mélodiques successives dont l’incessant tourment tient en haleine : musique improvisée qui s’avance à pas de loup, presque menaçante, mais aussi indéniablement attirante. De toutes ces contradictions, le trio tire sa force, et surtout un son. Stridences et rondeurs partagées, jets de notes incisives, phrases enroulées et brisées, affleurements dans le lointain, remous au premier plan. Passages de l’un à l’autre, comme pour dire que dans cette agitation de l’espace, dans son ouverture et ses replis, dans cette mise en danger gît un secret bien gardé (la vie n’est qu’un passage comme disait Beckett ?) dont se nourrit souvent le grand art, mais qui seulement se chuchote.
– Le site de Sans Bruit