C’est un étrange sentiment océanique qui nous gagne à l’écoute de Black Sea. Passés un bref préambule bruitiste et quelques grondements envahissants qui font office d’éléments de rupture autant que de seuil auditif, une immensité offerte et dérobée s’offre à l’oreille. À mesure que défilent les plages, se dessine un espace miroitant, étale et infini, dont les mouvements infinitésimaux comme les déformations passagères entretiennent le caractère résolument fuyant. Récurrent depuis Endless Summer (2001), l’eau — étendue à la fois diaphane et opaque — demeure un motif toujours aussi riche en potentialités musicales : vagues ambient fondues les unes dans les autres, ressacs de bourdonnements synthétiques, textures brumeuses et marées de grésillements, sur fond d’arpèges de guitare égrenés avec parcimonie et d’électricité rampante, décrivent un univers aquatique où surface et profondeur se confondent sans cesse. Sur deux morceaux, les chercheurs de sons Rosy Parlane (l’électronique crépitante de l’excellent « Glide ») et Anthony Pateras (le piano préparé de « The Colour of Three ») apportent leur précieuse contribution et se glissent à l’intérieur des compositions majestueuses et parfois abrasives de Fennesz. Plus prévisibles que sur le formidable Venice (2004), qui fut suivi du mitigé Cendre (2007) enregistré avec le pianiste Ryuichi Sakamoto, les apparitions mélodiques sont également soumises à un procédé de fluidification. Ces mélodies émergent par instants à la surface des morceaux, pour ensuite disparaître dans une profondeur insondable, s’apparentent à des mirages, figures mobiles et gazeuses qui attirent l’attention tout autant qu’elles déplacent les repères. Au sortir de Black Sea, les indéniables qualités immersives de la musique de Fennesz trouvent ainsi encore une fois à se vérifier, entre rudesse et beauté, sans que l’esthétique du musicien autrichien n’essuie toutefois une tempête créative décisive.