Ce nouveau groupe, composé de quatre éminents transfuges du collectif Migala, nous conduit vers de belles dépressions lyriques. En route pour le spleen.


Cette route abyssale seulement éclairée par d’inquiétants néons rouges — dont se serait bien inspiré David Lynch pour mettre sur bobine l’un de ses cauchemars résurgents — est aussi l’une des excellentes surprises de cette rentrée. Surprise, pas tout à fait, puisque on recense aux commandes de ce quatuor des membres fondateurs de feu Migala, la plus notable formation post-rock espagnole. Auteurs notamment d’un héroïque Arde (2001) resté dans les mémoires pour ses fulgurances épiques, le collectif madrilène a décidé de mettre en suspend ses activités arachnéologiques pour se consacrer pleinement à ce nouveau projet. Pour Kieran Stephen (chant, guitares, basse), Diego Yturriga (clavier, accordéon, melodica), Jordi Sancho (basse, fender rhodes) et Rubén Moreno (batterie), cette carretera révèle déjà pleine de promesses.

Lorsque d’anciens post-rockers espagnols décident de soigner leurs affres sentimentales autour d’une guitare sèche, cela se rapproche du spleen des Highlands façon Arab Strap, tout du moins pour l’accent. La voix grave et laminée de l’écossais Kieran Stephen — contrebassiste de Migala passé ici au chant à plein temps — y est bien sûr pour beaucoup, et se marie à merveille avec une esthétique à la beauté ténébreuse… Fantasy Bar sait retranscrire dans ses infimes détails cette mélancolie déchirante des adieux et des amours dévastés. S’agit-il pour autant d’une désespérance omnisciente dont ils auraient du mal à se défaire ? Non, car en dépit de la douleur, il demeure chez nos multi-instrumentistes une élégance qui ne s’apprend pas, un lyrisme intarissable où la maîtrise des éléments ne transige pas avec le chaos — pourtant jamais très loin, admettons-le. Il est toujours étonnant de constater à quel point ce vague à l’âme se décline à chaque fois sous des nuances inédites, comme sur l’isolé “Much Drinking, Little Thinking” dont le tempo accéléré insuffle un ton presque enjoué, à peine masqué par un accordéon des pavés.

Au jeu forcément pervers de la comparaison avec Migala, chez Fantasy Bar la voix de Kieran Stephen est désormais de toutes les introspections sur des compositions à dominante pastorale, du moins dans un premier temps. La quasi absence de violons qui étaient jadis promptes à de belles envolées — et nouaient d’étroits liens avec les Tindersticks — scellent officiellement cette rupture. Seulement un accordéon (voire ces quelques violons) sur “Stones” et “Dog Days” se jettent à corps perdu dans la toile jadis tissée par le glorieux collectif espagnol. Moins épars, Fantasy Bar privilégie l’essence du quatuor quand autrefois les intervenants s’accumulaient sur disque. Cette concision aboutit à quelques émouvantes folk-songs dénudées — “Interstellar”, ou encore “Crispy”, où une gorge fatiguée s’ébroue sur un air d’harmonica beau à pleurer.

Il serait tentant d’avancer que l’acoustique décharnée a pris le dessus, si Friday Afternoon Car ne s’ouvrait pas dans un second temps son champ d’exploration. Stratégiquement postés à la mi-temps du disque (long de quatorze compositions), les claviers irradiés de “Mao” pourraient avoir des incidences sur la gravité terrestre : distorsion tout en élévation et drones électroniques constituent l’une des plus belles séquences du disque. La palette musicale est source de nouvelles couleurs, fondant des climats electro/post-rock dans son chaudron folk. “My Nothern Light” (superbe errance synthétique), “Under Stars”, (bouillonnement de larsen).

Comme des âmes perdues qui continuent de rouler, Friday Afternoon Car ne connait pas la peine sèche en terme d’inspiration. Qu’on rassure les anciens Migala, ils ont trouvé leur voi(x)e.

PS : Lire également la chronique de Las Otras Vidas (2007) d’El Hijo le projet d’Abel Hernandez, ancien chanteur de Migala.

– La page Myspace de Fantasy Bar

– Lire également la chronique de Migala – La increible aventura (2004)