Produit par Evan Parker en 2004, Rue Victor Massé est seulement le second album de Ray Warleigh (70 ans) enregistré sous son nom, après un Ray Warleigh’s First Album paru en 1968, dont le producteur n’était autre à l’époque que le jeune Scott Walker. Repéré sur les disques de Parker ou Kenny Wheeler, mais aussi aux côtés de Nick Drake (Bryter Layter, 1970), Soft Machine (Bundles, 1975) ou encore Blossom Dearie (That’s Just The Way I Want To Be, 1970), le saxophoniste alto et flûtiste australien, exilé en Angleterre depuis les années 60, appartient à cette catégorie par essence peu exposée des artistes de l’ombre. Même mis sur le devant de la scène comme sur ce somptueux Rue Victor Massé, il brille davantage par sa retenue, son sens de la note juste, son étourdissante musicalité, plutôt qu’en raison d’une virtuosité ostentatoire. Musicien idoine pour un échange en clair-obscur, le percussionniste Tony Marsh accompagne Warleigh sur les dix improvisations proposées (une seule, “I Fall in Love Too Easy”, s’enracine dans un standard déjà immortalisé par Miles Davis sur Seven Steps to Heaven, en 1963). L’association des deux complices produit des formules musicales raffinées, à l’expressivité sans cesse renouvelée, dépourvues de tout pathos, et qui voient la place de chacun déterminer des points d’ancrage ou de fuite. L’écoute n’est pas uniquement la condition sine qua non de la qualité de l’échange, elle demeure précisément cette zone de partage où il s’agit de s’oublier au son de l’autre, de s’éprouver dans le refus de sa propre solitude. Sur la septième pièce, sobrement intitulée “For Flute and Percussion”, les phrases serpentines de la flûte sont ainsi mises en exergue par un environnement percussif ondoyant (frottements de peaux, balayages de caisse claire, scintillements des cymbales, roulements éclairs) qui en accentue les moindres reliefs et appelle de nouveaux récits et perspectives. Avec un sens remarquable de l’enchaînement dynamique (à un tempétueux et free “Nothing But” font par exemple suite les plus éthérés “The Other Side” et “New Moon”) et une intelligence indéniable dans la réappropriation de codes usités (“Standards and Blues”), le duo chemine sobrement vers une éternité à lui offerte.

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