L’art de la concession, Brandon Cox et ses Deerhunter semblent l’avoir acquis en deux ans. A ce moment, Cryptograms déboulait dans les bacs et les verdicts étaient pour le moins tranchés. On aime, on déteste, et au milieu, plus personne, pas d’indécis, de mitigés… Par ici, on criait au génie, par-là, c’était une bouillie infâme. Mais comme souvent il est dit, mieux vaut cela que de l’indifférence. Cryptograms était l’expression même de la brutalité, sorte de miroir de l’anxiété, des angoisses et de l’aliénation. L’auditeur se heurtait violemment alors à des murs de sons complexes, rythmés par la guitare saturée de reverb de Lockett Pundt. Ce dernier, avec Bradford Cox, Moses Archuleta, Josh Fauver et Colin Mee (remplacé après Microcastle par Whitney Petty) brouillaient les pistes. Rien à anticiper, les sons paraissaient, disparaissaient sans logique. Alors brouillon spontané élevé au rang d’oeuvre ou imbrication réfléchie de sonorités, le tout conçu tel un édifice vacillant ? La réponse n’était pas donnée avec le manuel. Au final, Cryptograms était hermétique en diable (hormis “Hazel St.”), bordé d’influences omniprésentes (The Fall, Animal Collective) qui diluaient l’idée d’une création personnelle et surtout, constituait une véritable épreuve pour celui qui désirait l’avaler d’un trait. Pour ce deuxième effort — le premier, Turn It Up Faggot, était sorti en 2005 –, la bande à Cox offrait un disque malade, presque mourant. Et qui avait donc aussi le mérite de piquer notre curiosité pour l’avenir. Dans quel état récupèrerait-on Deerhunter ?
Ce que Cryptograms a fait, Microcastle semble le défaire. Une version non pas patinée, mais sûrement épurée du noise rock rageur des débuts. Cox semble apaisé, voire blasé quand il chante sur l’un des grands moments de l’album, « Nothing ever happened to me / life just passing, flash right thru me ». On commence à comprendre. Plus tôt, dans les enchevêtrements de piano de “Green Jacket”, le leader reprend « I take what I can / I give what I have left ». Brandon Cox, tête pensante et faisante de Cryptograms, a lâché du lest et laissé du champ à ses comparses. Lui qui s’était émancipé sur le projet solo et onirique, Atlas Sound, semble en être revenu avec une nouvelle idée du groupe.
Sa voix se cache derrière les instruments, perdue dans des nappes vaporeuses, et la premier timbre que l’on perçoit est celui du guitariste Lockett Pundt sur “Agoraphobia”, deuxième chanson et première pop song impeccable. La voix est claire, les lignes de guitares également, les sonorités sont idéalement distribuées. D’emblée, c’est évident, Deerhunter s’est remis de son épreuve de 2007. Tout cela est confirmé par une seconde claque, l’entraînant “Never Stops”, lancé sur une rythmique lancinante et fracassé sur un mur de sons. Puis “Little Kids”, un brin psychédélique, retrouve les influences 50’s/60’s chères à Cox. Deerhunter passe ensuite à l’ambient, avec un quadriptyque planant (“Microcastle”, “Calvary scars”, “Green Jacket”, et le moins convaincant “Activa”) avant de retrouver le groove de “Nothing Ever Happened” et le blues de “Saved By Old Times”, avec Cole Alexander (Black Lips). C’est sûr, le Cox maladif n’est plus seul : l’essentiel du disque a été laissé aux guitaristes Josh Fauver et Lockett Pundt, et toute la rythmique à Moses Archuleta. Du doux Beach House par ici, du Pavement plus sérieux par là, du shoegazing à la My Bloody Valentine et quelques relents des délicats Sparklehorse (“Calvary Scars” !): la mélodie a repris la main chez Deerhunter.
L’expérimental est laissé aux vestiaires, en l’occurrence un second album bonus, Weird Era Cont, assez surprenant mais qui vaut surtout par les 10 minutes de folie de “Calvary Scars II / Aux Out”.
Sans être un désaveu pour Cox, Microcastle fait table rase de ce qu’avait été Deerhunter. D’aucuns diront que le quintet a sacrifié sa musique sur l’autel de la reconnaissance. Sûrement une erreur. Microcastle est plus que ça, vaut plus que ça : c’est une régénération, une révolution. Et à coup sûr une renaissance.
– Le MySpace des Deerhunter