Exhumé d’on ne sait où, un concert enregistré à Bonn en 1980 confirme l’extraordinaire magnétisme de l’un des plus grands orfèvres de la six-cordes en solitaire. Cordes suprêmes.
Tenir entre les mains un live inédit du guitariste Robbie Basho relève du lègue précieux et inespéré. Si le californien botté a livré seize albums dédiés à l’instrument fretté au cours de sa prolifique carrière, seulement moins de la moitié ont été à ce jour réédités en CD. Avant sa disparition en 1986, le guitariste tombé dans l’oubli voyait ses albums édités uniquement en format cassette et distribués dans des librairies ésotériques (!). Quinze ans plus tard, une nouvelle génération de six-cordistes dont Ben Chasny (Six Organs of Admittance), Jack Rose, James Blackshaw ou Steffen-Basho Junghans (ces trois derniers participent de leur hommage dans le livret du disque), ont vivement contribué à rendre à ce musicien essentiel la place qui lui était due aux côtés de ces anciens compères John Fahey et Leo Kottke, musiciens cruciaux pour leur apport à la guitare acoustique — et la musique contemporaine au sens large.
A l’attention des néophytes, on peut bien entendu passer outre Bonn Ist Supreme en abordant d’abord ses premiers albums studios sixties pour les labels Takoma/Blue Thumb (la compilation Bashovia est une bonne entrée en la matière), mais cet enregistrement inédit d’un concert donné en 1980 en Allemagne ferait tout autant l’affaire tant il cumule les sommets. La qualité audio n’est pas optimale mais la prise de son est assez bonne pour percevoir toutes les subtilités du jeu du virtuose de la douze-cordes, dont la technique de picking renversante le rendait capable de sonner à lui seul comme une cathédrale. Sans oublier son chant qui atteignait des hauteurs insoupçonnées, faisant jeu égal avec les envolées de son instrument (la conclusion “California Raga”, démonstration de maîtrise absolue voix/guitare, étirée sur neuf minutes hallucinante en crescendo).
Qu’on ne se méprenne pas, la vitesse d’exécution et la versatilité incroyable de Basho n’avait qu’un seul but : le dépassement émotionnel. Chaque morceau rentre dans une transe extatique où raga, folk, blues et même musique classique (le charme hiératique de “Cathedrals et Fleur de Lis”) n’avaient pour seul but que d’accéder à une intensité émotionnelle, régulièrement à couper le souffle. Outre les passages de bravoure connus — “The Grail and The Lotus”, “Rocky Mountain Raga” –, quelques inédits — le court mais intense “Fandango”, “Silky Jane” — raviront les archivistes tout autant que les profanes. Car il faut le rappeler, il n’est nul besoin d’avoir des notions de manche pour capter ce lyrisme hors du commun, le souffle hors-norme émanant de ces pièces d’orfèvre. « Soul first, technique later », aimait rappeler l’excentrique érudit. Et aux yeux et à la maîtrise de ce performer exceptionnel sur scène — exercice périlleux où la tentation de la démonstration technique peut prendre facilement le pas sur le frisson — sa philosophie de la vie et de la musique n’en prenait que tout son sens. Vibrant.
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– Le site du label Bo’Weavil recordings