Presque insidieusement, au fil d’écoutes suscitées par une satisfaction grandissante, ce trio piano/contrebasse/batterie, dont on n’attendait pas forcément grand-chose, s’est imposé comme une des belles révélations de ce début d’année. S’inscrivant dans la tradition juive chère à John Zorn et son label Tzadik — producteur comme de bien entendu ici mais également saxophoniste recueilli et lyrique sur le resplendissant “Luma” –, les compositions du pianiste Borah Bergman procèdent d’une lente diffraction apaisée. Chaque thème introduit au piano en quelques notes évasives, qui entretient de surcroît avec celui du morceau suivant ou du précédent une évidente parenté comme s’il en était le reflet reconduit, se voit au contact de la contrebasse de Greg Cohen ou de la batterie de Kenny Wollesen soumis à une esthétique de la dispersion, à l’instar des couleurs de la lumière passée au travers d’un prisme. D’un mid-tempo tenu de long en long, mis en exergue par le toucher du bout des baguettes de Wollesen et les relances tout en rebonds élastiques de Cohen, surgit, dans une sorte de délitement harmonique des plus fascinants, une musique poétique qui emprunte autant à Bill Evans qu’à Johann Sebastian Bach. Délié, attentif et mesuré, le jeu de Bergman s’apparente à une présence irradiante qui aurait éconduit la moindre tentation d’illisibilité au profit d’un langage à la fois virevoltant et mélancolique, dépositaire d’une mémoire nomade, en mouvement pour mieux construire autre chose plutôt que s’autocélébrer. En résulte une singularité appréciable à l’endroit où d’autres albums récemment sortis sur Tzadik, assez proches dans l’esprit (on pense notamment à Secrets d’Uri Caine), s’avèrent d’aussi bonne facture mais davantage académiques et prévisibles.
– Le site de Orkhêstra