L’allure à laquelle le prolixe John Zorn accumule depuis quelque temps les volumes de ses fameux Film Works a de quoi impressionner. El General est ainsi le cinquième album paru depuis janvier 2008, date de sortie de Film Works, Vol. 19 : The Rain Horse — quant à lui espacé de deux années avec le précédent The Treatment. À la demande insistante de Natalia Almada, auteure d’un documentaire sur son grand-père, le dictateur mexicain Plutarco Elias Calles, personnage haut en couleur très controversé, John Zorn, d’abord rétif à s’investir dans ce projet de BO, a écrit et arrangé onze morceaux extraits d’un plus large éventail de compositions (les restantes devraient figurer sur le second volume de The Dreamers, à paraître cette année). Ami commun et principal intercesseur entre la cinéaste et le musicien, le guitariste Marc Ribot constitue la pièce maîtresse de cet album, autour de laquelle gravitent les fidèles Greg Cohen (contrebasse), Rob Burger (piano, accordéon) et Kenny Wollesen (batterie, marimba, vibraphone). À la guitare électrique ou acoustique (superbe “Besos de Sangre” qui dévoile des arpèges déclinés avec une délicatesse et une sensibilité mélodiques rarement entendues chez le musicien), Ribot joue de la retenue et de la profondeur, égrenant les notes comme des points de suspension, à l’instar des autres musiciens dont chaque intervention se coule dans des développements entêtants et linéaires qui n’en demeurent pas moins contrastés et riches en détails harmoniques (la récurrence songeuse du piano, particulièrement émouvante à la fin de “Mala Suerte”). Incorporant des éléments de la musique mexicaine et espagnole traditionnelle à une écriture néoclassique, la musique suave et sensuelle de The General pourrait surprendre dans un contexte documentaire que l’on devine politiquement engagé. Mais tout l’art de John Zorn consiste justement à prendre la contre-pied du mimétisme musical si souvent usité, pour lui préférer une dramatisation en sourdine qui affleure de mid-tempos savamment agencés et d’une mélancolie radieuse.

– Le site de Orkhêstra