Pendant que les chiens bavent et hurlent au loup, ce vilain Pete continue son petit bonhomme de chemin et essaime, tel le petit poucet, des cailloux toujours plus beaux sur la voie lactée de la gloire à retardement.
Un portrait d’Arthur Rimbaud figure en bonne place sur la jaquette du premier effort solo de Pete Doherty et, allez savoir pourquoi, on s’attendait plutôt à celui d’Oscar Wilde. Plus précisément celui de son héros Dorian Gray tant Grace/Wastelands, premier album solo du lad, est la nouvelle étape d’une renaissance totale qui a cours au fil d’une discographie doucement imposante. Alors que son portrait s’écorne de jour en jour, engraissant une certaine presse britannique putride, donnant à voir un triste sire, junky amoureux d’une brindille, croûlant sous son casier judiciaire et perdu derrière des cernes envahissantes. Mais c’est un peu vite oublier que Pete Doherty est avant tout un artiste de premier plan qui vit totalement à côté de son image, préférant se pencher sur son chevalet pour avancer plutôt que poser devant l’objectif qui, de toute façon, le ratatine.
On savait déjà qu’il était indubitablement la force motrice des désormais légendaires Libertines, constat évident lors de séances d’anatomie comparée portant sur les parcours des deux protagonistes, Doherty frappant redoutablement fort avec ses Babyshambles — dont le récent Shotters Nation, une réussite totale avec le recul — quand le sympathique Carl Barât végète au sein de ses flatulents Dirty Pretty Things. On découvre aujourd’hui la face solaire du rocker brûlant la vie par les deux bouts mais dont la seule passion qui le consume définitivement est celle qu’il voue à la musique. Et ce premier album sous son vrai nom en est la déclaration d’amour ultime.
Détail essentiel de cette mise à nu, Doherty s’appelle à nouveau Peter et non plus Pete, signe évident d’un besoin de retour aux sources, à l’essentiel. C’est donc un bilan qu’il effectue sur ce disque, un retour sur soi, un regard plongé dans le rétroviseur pour dévoiler ses failles, ses faiblesses et son charme naturel, atout dont il ne manque pas. Une explication de texte plutôt qu’un étalage vulgaire, des clés pour comprendre son parcours et non une démonstration forcée. L’autre rivage de cette rivière (pas vraiment sans retour) permet de remonter aux sources de sa musique, son punk, son rock à lui. Et de fourbir ses armes dans un style qui lui va comme un gant, le folk urbain que l’on avait perdu de vue depuis The Smiths — c’est d’ailleurs Stephen Street, emblématique producteur de la bande à Morrissey, que l’on retrouve aux manettes — ou plus loin encore, depuis Hunky Dory de Bowie. Cette orientation acoustique fait éclater au grand jour son immense talent de songwriter. Car, si certains en doutaient encore, Peter Doherty est un auteur raffiné qui n’a eu de cesse, jusqu’à présent, de grimer ses mots sous des accoutrements décadents et électriques et qui décide enfin de franchir le pas, en ouvrant les portes du garage pour changer une atmosphère qui sentait un peu trop des aisselles. Et l’on découvre, sous la poussière et derrière les bidons d’huile, une plume magique maniée par un farfadet que l’on avait enterré un peu trop vite et qui se joue de la vie et des rumeurs, sans jamais se départir de sa classe et de sa jovialité grave et naturelle.
Les projecteurs s’allument sur “Arcady”, petite luciole de rien du tout sur lequel Doherty s’amuse avec ce refrain entêtant et sa six-cordes en bandoulière. Vient ensuite “Last of the English Roses”, le single qu’il a piqué à The Good The Bad And The Queen, et sur lequel Graham Coxon, autre artisan de la réussite de ce disque, se venge en fourbissant, sur un lit légèrement electro, des lignes d’accords que son ex-futur meilleur ami Damon Albarn lui avait interdites jusqu’ici. Puis sur une fanfare perdue dans la Mersey, arrive sur la pointe des pieds “1939 Returning”, délicate promenade printanière qui voit Doherty se livrer à son exercice favori : la marche à pied, chapeau melon calé sur le crâne, les bras écartés, sautillant d’un bord à l’autre du chemin plutôt que de tracer tout droit. C’est sur un orgue inquiétant et accompagné d’un melodica malingre que “A Little Death Around The Eyes” déploies ses ailes dans un élan de cordes majestueuses, pour finir par les offrir à la poignante “Salomé”, portée par une basse élégiaque et un chant vibrant. “I Am The Rain” n’est pas sans évoquer l’immense Jackson C. Frank dans cette façon de saisir à la gorge avec trois fois rien, une guitare poudreuse et un chant habité livrant une mélodie sublime de nudité avant de se jeter, en une course folle, dans un mur de pluie.
“Sweet By And By” ou petite pause dans un cabaret, piano mutin de Stephen ‘Lord’ Large et cuivres perdus sur la scène minuscule, le chanteur se jette une bonne bière bien fraîche derrière la cravate noire abandonnée autour du col, avant de se lancer, sur “Palace of Bone”, à une cavalcade du grand Ouest plus vraie que nature. Repos bien mérité dans les bras de la précieuse Dot Allison sur “Sheepskin Tearway” avant de repartir ventre à terre sur “Broken Love Song” aux violons martiaux et à la rythmique poisseuse. Et atterrissage en douceur avec “New Love Grows On Trees” et sa guitare western qui court après le Mellotron, avant de tirer sa révérence sur la délicate “Lady Don’t Fall Backwards”, avec son orgue qui accompagnent une extinction des feux obligeant à fermer les yeux pour mieux savoureux le bonheur béat que procure l’écoute de ce disque.
Les rapaces peuvent bien guetter, l’artiste n’a que faire de leur vénalité et continue à faire ce qu’il fait de mieux : des chansons. Pas impossible que certains baissent le bras devant un tel regain de vitalité, positionnant l’icône maudit jusque-là voué aux gémonies et à l’enfer de la dope, au sommet de son art. L’image du Phénix serait un peu facile, mais il y a de ça. Une revanche formidable par un mec qui n’en a même pas l’intention, uniquement aboutie par la force de son talent et la grâce de son intelligence. Peter Doherty a sauvé Pete Doherty.
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