Luke Temple a visiblement découvert le monde extérieur, et dans une grande soif d’aventure, s’est lancé dans un projet un peu fou : créer une musique sans origine, un esperanto musical qui traverserait les continents et le temps. Bancal et passionnant.


Artiste lunaire et complexe, Luke Temple vaut incontestablement plus que la somme de ses deux premiers albums qui donnaient à entrer dans un univers intimiste et sensible, délicat autant que cachottier. Un homme humble, discret et à la créativité au moins aussi puissante que sa sensibilité, capable de bouts de chansons proprement bouleversantes, elles-mêmes portées par des arrangements où l’inventivité se dispute la place d’honneur avec une voix douce et légèrement acide, aussi belle qu’émouvante. Un troisième album dans la continuité de ce qu’il avait jusqu’à présent engagé sur Hold A Match For A Gazoline World (2006) ou plus encore sur Snowbeast (2008) aurait largement assouvi notre faim de vignettes pop-folk éphémères et charmeuses. Ce n’est rien de dire qu’on reste sans voix devant l’orientation prise par l’Américain sur ce nouvel effort.

Aujourd’hui entouré d’un vrai groupe, Luke Temple se cache non plus derrière un banjo hors d’âge mais derrière un clavier certifié vintage. Pour encore plus couper les ponts (provisoirement ?) avec son univers personnel, il s’affuble d’un nom de groupe comme une profession de foi. Here We Go Magic, proclame-t-il, et de nous embarquer dans une traversée d’espaces imaginaires et luxuriants, proprement ébouriffants quand on sait d’où il vient, musicalement parlant.
Démarrant sur les traces de Paul Simon, sur “Only Pieces”, il enchaîne, emporté par ce rythme africanisant, quatre des meilleurs titres (sur neuf qu’en contient l’album) dès le départ, une première partie qui justifie à elle seule très largement l’acquisition de l’objet. “Fangela”, pièce maîtresse du disque, court à la poursuite d’une guitare paumée dans un couloir sans fin, que la douce voix du seigneur des lieux tente de rassurer en une lente mélopée amoureuse. “Ahab”, plus cool, rappelle un blues malien qui viendrait se frotter à un clavier oxydé par la rosée tombante, quand “Tunnelvision”, qui se pose en candidat au titre de tube, convoquerait les platform shoes de Chic (pour le rythme) à s’éclater dans le bayou sous le regard bienveillant du Creedance (pour les guitares), espionnées par Damon Albarn (pour le chant et les boucles). Désormais, on danse à en perdre haleine sur la musique de Luke Temple. Mais ce n’est pas la seule des surprises.
Sur quatre autres titres, il s’exerce à l’expérimentation synthétique, avec ces longs passages froids qu’il souhaiterait voir rivaliser avec les plages inanimées de Low de David Bowie. D’ailleurs, au moment où surgit la succession de ces plages instrumentales, de “Ghost List” à “Nat’s Alien”, on comprend d’où nous vient cette impression de déjà entendu : Here We Go Magic est construit, à peu de chose près, sur le même modèle que l’immense album berlinois de l’homme aux yeux vairons. Mais là où la partie chantée est franchement réussie chez Temple — y compris la conclusive “Everything’s Big”, la plus classique –, cette partie synthétique y est nettement moins aboutie, se perdant en bruitages vains et poussifs, sans relief et surtout sans impact, de ces effets qui n’impressionnent plus guère que ceux qui n’ont entendu de la musique que des frottements de cordes.

Pour autant, ce virage pour le moins radical n’est pas sans nous séduire tant nous respectons ces prises de risque inattendues. Gageons qu’à l’avenir, Luke Temple saura utiliser son génie, qui n’est désormais plus larvé, sur toute la longueur d’un disque aussi inventif et éclectique. S’il réussit ce pari, il risque bien de passer à un statut autrement supérieur que celui de songwriter de grand talent qu’il honore déjà sans forcer.

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