Virage électrique sur le second album du quatuor de salon parisien. Vagabond, complexe, déboussolé, mélodique… Centenaire fait, évidemment, dans l’intemporel.


Si Centenaire se donne les ambitions de retranscrire ce nouvel album lors de ses fameux « concert d’appartement », sachez qu’il faudra pousser les meubles de nos exigus salons parisiens ! Avec cette fois autant de musiciens réunis dans la pièce que de spectateurs. Une bonne chose, contrairement aux idées reçues, car le privilège d’un orchestre jouant exclusivement pour soi est un peu le rêve de tout mélomane. Mais ne nous égarons pas. Vous l’aurez compris, si l’on parle aussi d’espace dans cette chronique, c’est que le consortium français Centenaire a significativement enrichi son décorum sonique. Damien Mingus (My Jazzy Child), Aurélien Potier (Section Amour, Concertmate), Stéphane Laporte (Domotic) et Orval Carlos Sibelius, ses musiciens d’orfèvre aux carrières en solo modèles d’intégrité artistique, ne se sont pas embourgeoisés, ni perdus de leur naturalisme faussement contemplatif si caractéristique à leur premier album. Le quatuor a simplement et sagement fomenté son paysage sonore.

Comment appréhender un tel disque ? Si tant est qu’il existe une clé ou un code d’entrée pour s’y infiltrer… L’oeuvre n’est certes pas facile à aborder, Centenaire excellant dans l’art fourbe de la manipulation qui consiste à créer des faux-semblants. Car 2 serait avant tout un superbe album de pop détourné. Sur ce disque organique au charme suranné — à savoir dénué de machines à diode –, tout en premier lieu concourt ou conspire à laisser nos ouïes s’étourdir de dociles mélodies pop aux arrangements baroques soyeux. Mais en contrepoint de ces jolies choses s’immisce un détail, un son aigre, une petite tâche blafarde obsédante sur le tableau fixant toute notre attention (« The Enemy », « Weelchair »). C’est là l’un des traits de génie de ce groupe : perturber l’auditeur alors que tout semble paisible. Aussi scintillant soit le morceau inaugural, le dandysme pop typiquement british de “Wheelchair” — petite perfection de raffinement — n’est qu’une infime facette d’une personnalité décidément bien plus déviante. Et ce nouveau renfort d’amplification agit sur 2 comme si les taupes vagabondes de Matching Moles (référence depuis leur premier album) avaient été délogées de leur terrier à coup de dynamite.

Après le parti pris acoustique du premier opus, Centenaire amplifie ses fondations à l’aide d’orgues et de guitares électriques fureteuses. Resserré autour d’un format plutôt court (7 titres pour 29 minutes, soit en comparaison la moitié du premier album), le champ d’expérimentations ne cède pourtant pas de terrain aux improvisations denses et offrent même de nouvelles escapades esthétisantes où s’évaporent les harmonies lorsque non nécessaires.
The Enemy sombre dans la noirceur au fil de ces pistes débroussaillées, et ses sons de métallophone usés en abondance n’y feront rien. C’est le cas sur le post-rock lunaire de “Bottle of Sound” quelque part entre Slint et The Sea and Cake ou encore “Farmes Underground” qui part explorer les territoires tribaux du dernier album de Portishead (on pense aussi à l’album Red du King Crimson). Avançant vers l’inconnu, Centenaire sème rapidement l’auditeur dans des brumes électriques, le plantant dans un no man’s land où se seraient effacés derrière lui des pistes d’harmonies trop évidentes. Cet état déboussolé récurrent sur la plupart des titres de l’album (“The Enemy”, dont l’horizon s’assombrit progressivement, “Back Home”, “A Cure”) est magistralement mis en son par Miguel Constantino (Papier Tigre, Talibam) et mastérisé par Alan Douches (Animal Collective, Sufjan Stevens, Mastodon…).

Sans doute que la plus radicale épreuve, “Testosterone”, est aussi celle la plus frontale : le morceau bien nommé opère une rafle math-rock puissante organisée par le guitariste Orval Carlos Sibelius. Le chant de Damien Mingus, violenté pour la première fois, hausse le ton dans cette messe noire tendue et paranoïaque. Sonnés, il nous reste encore les guitares ascétiques de “Back Home” évoluant dans un environnement inhospitalier. Intraçable, inusable, follement tarabiscoté… C’est officiel, l’ennemi public n°1 s’appelle Centenaire.

– En écoute : “The enemy” :

– Le site officiel

– Le Myspace