Le propre de l’artiste brut est de faire confiance au hasard : la matière qu’il investit ne prend forme que livrée aux contingences d’un geste créateur non prémédité, immergé dans l’instant, parfois inopiné. Là où certains s’évertuent à gommer la moindre trace de travail afin d’obtenir un rendu parfait, lui laisse l’oeuvre ouverte, instable, en suspens, pleine de bruit et de fureur. Ce bruit nourrit précisément le coeur du Wild Classical Music Ensemble — et celui de Musics in the Margin en particulier –, un groupe belge atypique composé d’un musicien aguerri, Damien Magnette (batterie, flûte, basse), et de quatre artistes avec un handicap mental, Kim Verbeke (guitare, sampler), Rudy Callant (trombone, violon, chant), Linh Pham (claviers, flûte, sampler, chant) et Johan Geenens (melodica, chant). De leurs mains agitées et de leur gorge déployée se déverse un free rock viscéral et imprévisible capable, lors de purs moments de folie libératrice, de vider de sa substance noisy le récent creuset de John Zorn, comme de renvoyer Mike Patton à ses gesticulations verbales (The Crucible, 2008). Désirée ou redoutée, cette musique primitive, in-pensée, indexée au présent, exposée à la loi punk de corps débarrassés de leur pesanteur d’individu social, réactive une sauvagerie subversive affranchie de tout ordre menaçant et autoritaire (celui, conspué, sur l’emblématique “Police”), mais dont la musicalité, fut-elle violentée, ne saurait être en berne comme en témoigne notamment l’instrumental post-rock « The Prisoner ». Dans un tel contexte, la voix, déclinée sous forme de borborygmes, de cris primaux ou de chants constitue un vecteur d’émancipation et d’étrangeté, un repoussoir bienvenu à la beauté figée et fabriquée (sur “Tears from the Ensemble” Rudy Callent évoque l’art vocal fragile et en suspension du mystérieux Jandek). Une salutaire turbulence des fonds.
– Le site de Orkhêstra
– En écoute : « Police »