Un roi écossais en haillons pille les richesses de sa voisine britannique pour fabriquer une pop sans limite. Un miracle…


A première vue, Flick The VS s’annonce comme un album electro-pop de plus qui nous arrive en droite ligne d’outre-Manche : couverture baroque, premières notes vocoderisées de mauvais aloi. Oui mais… King Creosote, c’est tout sauf un groupe trendy monté en épingle sur la foi d’un single vaguement accrocheur. L’homme au royal alias s’appelle, dans l’Écosse d’en bas, Kenny Anderson, ci-devant fondateur d’un label fourmilier, Fence Records — qui livre aujourd’hui les albums de son illustre compatriote Malcolm Middleton, c’est dire le niveau de sympathie qu’on accorde d’emblée au gus. Et Flick The VS n’est pas moins que son cinquième véritable album, véritable au sens de commercialisé, puisqu’avant d’en arriver là, c’est une quarantaine de galettes qui furent disséminées en son royaume sous forme de CD-R (je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans…), selon la bonne vieille méthode de distribution dite de la table de camping, l’attirail en question étant déplié à la sortie des concerts en guise de présentoir d’albums, avec une caisse métallique de biscuits chargée de recueillir la recette…

Derrière l’anecdote et le roman de gare qui raconte la vie de tout rockeur adoubé par Saint-DIY se cache un artiste qui n’a pas galéré en vain. Car de cette époque de vaches maigres et de travail acharné il en a retiré une connaissance encyclopédique de la musique pop-ulaire telle qu’elle se pratique en underground, la rareté des moyens se révélant le meilleur anabolisant en mode créatif. Et Flick The VS en est l’illustration parfaite. En dix titres, King Creosote explore pas moins que le miel de la pop britannique telle qu’elle fut évidée ses 30 dernières années, non sans en avoir d’abord éliminé la limaille de manière à ne plus en conserver que les métaux nobles.
De la moulinette electro-dance qui ouvre le bal, “No One had it Better”, à l’imprécatrice conclusion “Saw Circular Prowess” et son finale inquiétant, le savant fou s’enivre de guitares, de cuivres, de percussions en tous genres et de toutes natures sans oublier d’y délivrer un message éminemment personnel. On fond sous la complainte “Two Frocks at a Wedding”, son melodica perdu dans la brume et sa mélodie acide. Impossible de résister au ska transgénique de “No Way She Exists” et au sax baryton épileptique, pas plus qu’à l’envolée toute en picotements de “Nothing Rings True”. King Creosote chemine avec une facilité déconcertante entre les styles, les univers et les thèmes, non sans avoir au préalable marqué son territoire, soit par le biais d’une production tranchante, soit par l’intermédiaire de sa voix si acrobatique.
De fait, les plus âgés parmi nous se souviendront peut-être de la coulée de glacier qui les étreignait à l’écoute de Further en 1997, un disque oublié d’un groupe tout aussi oublié, Geneva, lui aussi écossais, et emmené par un chanteur au lyrisme aussi frivole que délicat, Andrew Montgomery, un homme capable de livrer la voie lactée sur la descente de lit de votre bien-aimée. King Creosote, lui, juste après cette illustre offrande, se cache sous le lit, attend que ladite bien-aimée se tienne debout sur ce même tapis et tire d’un coup sec pour provoquer l’inévitable chute, juste pour rire. C’est avec ce même esprit rigolard et un brin sarcastique, et ce même timbre de voix capable de tout, qu’il achève la cavalcade “Rims” sur une ligne dance qui ne jurerait pas dans la programmation musicale du Macumba du centre commercial d’à côté. Sauf que le décalage n’a rien de vain ou de poseur. Au contraire, tout débordement, toute sortie de route est calibrée, mesurée, étudiée, et s’intègre sans cicatrice dans l’ensemble. Aucun risque de rejet de greffe. King Creosote fabrique une musique totalement hybride et neuve avec du vieux, recycle ses classiques pour en créer de nouveaux. Car King Creosote, avant de se lancer dans l’expérimentation, élabore un protocole dont il ne déviera jamais. Ce que l’on appelle plus communément de la composition.

King Creosote, grand prince, couronne des années de pop britannique dans cette musique flamboyante et réussit l’exploit de ne pas déborder pour finir par livrer un dîner majestueux. Royal…

– Son MySpace

– Le site de Fence Records

– A écouter l’intrépide “No Way She Exists” :