Retour attendu du petit prodige de l’electro-pop français. Plus vraiment electro, franchement pop, et surtout beaucoup plus haut. Un voyage immobile sans destination et sans contrainte, pour la beauté du geste.


Sébastien Schuller. Ancien libraire et vendeur de disques sous payé qui dissout l’écume de sa mélancolie en composant. Une chambre comme un antre où replier les interminables bras de cette douce tristesse qui l’étreint, écrin parfait pour donner corps à cette musique intérieure. Bribes de notes, bouts de chansons et laptop. Au final un petit miracle d’electro-pop, joliment intitulé Happiness (2005) comme d’autre aurait intitulé une chanson « L’inaccessible étoile » sachant pertinemment qu’il ne l’atteindrait jamais. Et à la clé un succès sidérant qui n’était franchement pas gagné. Trop connoté, trop triste, trop français : comment, ce jeune péteux marcherait sur les plates-bandes de Radiohead ou pire, de Coldplay ? Voilà une vision bien réductrice du cas Schuller. Happiness c’est quand même autre chose qu’un sous OK Computer ou une pale copie de A Rush of Blood to the Head, ce disque recèle bien des chimères, beaucoup de voyages non réalisés, et bon nombre de rendez-vous manqués. Et surtout, surtout, beaucoup de lui. Alors comment rebondir après cette mise à nu, comment alimenter d’autres chansons, d’autres récits de soi ? Et par-dessus tout, comment se renouveler ? Car quoi de pire qu’un Happiness 2 ?
Evenfall se distingue de Happiness par la large part accordée aux instruments, aux musiciens même, au détriment des boucles et autres produits de synthèse. Cuivres, orgues, basse et batterie — Jean-Michel Pires, impérial de bout en bout –, autant de soldats venus prêter main forte pour bâtir cet univers gracile et impalpable. La froideur métallique des débuts a laissé place à la moiteur organique, l’imperceptible défilement qui habite les fibres électriques s’efface pour laisser place aux artères palpitant entre nos doigts timides posés sur un cou gracile. Et par-delà, il y a aujourd’hui un chanteur, un vrai, et non plus le simple interprète de ses émotions. Sébastien Schuller a gagné en présence en chantant plus délicatement. Là où Happiness saisissait par un son rentre-dedans qui tranchait avec une musique plutôt éthérée, Evenfall prend de l’altitude et enveloppe plus qu’il ne s’impose. Il prend possession de l’auditeur. La production maison en est principalement responsable : omniprésente et inatteignable, esprit réfractaire à la soumission mais bien volontiers au service de l’artiste.

Ce tableau féerique devient une forêt vierge dans laquelle les nouvelles marionnettes du chanteur s’ébattent, se livrent, nues et magnétiques. Le premier souffle d’Evenfall, « Morning Mist » et son piano lacté, étend ses limbes par sa mélodie en trompe l’oeil et la voix diaphane de l’artiste. Puis Schuller laisse éclater ses talents de compositeur, s’appuyant sur des arrangements luxuriants en même temps qu’intangibles, égrenant ses gouttelettes de mélodies sur un tapis de cuivres moelleux — « Open Organ ». Ou alors c’est une ligne tenace de piano qui viendra tambouriner aux portes de notre esprit pour y imprégner son amour de la fuite, comme sur cette « Balançoire » qui n’a d’autres buts que de toucher les nuages des cils.
De manière générale, les nouvelles compositions de Sébastien Schuller ont tendance à se ressembler si l’on embrasse son univers d’un regard inattentif. A y regarder de plus près, le blanc immaculé qui semble les habiller n’est autre que le fruit de l’absorption d’une multitude de couleurs. Les musiques se révèlent tour à tour irisées ou marmoréennes, mais quoiqu’il en soit d’une blancheur aussi irréelle qu’insondable. Quant à Sébastien Schuller, lui se sent nettement plus à l’aise dans cet atelier céleste désormais habité de congénères. Et en profite au passage pour relever son niveau de jeu.

Bien plus que le cap du deuxième album (en occultant l’EP de la découverte), Sébastien Schuller réussit avec Evenfall à se surpasser, à entrer dans une catégorie que les Français sont bien trop rares à habiter. Une certaine idée de la pop, une accessibilité qui ne s’apparente à aucune forme d’élitisme mais qui ne refuse pas le façonnage d’univers denses et stratifiés, autrement plus complexes que la somme des chansons qui le composent. D’une certaine façon on peut rapprocher Sébastien Schuller du Yann Tiersen de l’époque de Rue des Cascades, où le simple jeu (basique pour les puristes) ne freinait pas un lyrisme mesuré et pourtant tellement addictif. Ou outre-Atlantique du Grandaddy circa The Sophtware Slump, quand des idées pour le moins simples contribuaient à élaborer une musique épidermique et intemporelle.

– Son site

– Lire également notre entretien Sébastien Schuller, Happiness is a warm gun (fervrier 2005)