Pour son (peut-être) dernier album solo, l’ex-Arab Strap revient à ce qu’il sait faire de mieux : nous étourdir et nous achever


Aidan Moffat d’une part, Malcolm Middleton de l’autre. Les deux têtes chercheuses de feu-Arab Strap se seraient-elles séparées pour mieux régner ? Comment regretter la rupture du groupe écossais quand ces deux membres nous arrosent de productions délicieuses et essentielles à tour de bras. C’est comme une double ration à la cantine, être pris entre le marteau et l’enclume. Et quand Malcolm Middleton dégaine son Waxing Gibbous, cinquième et probablement dernier album solo pour un bon moment (il a annoncé vouloir se lancer dans d’autres projets), Aidan Moffat arrive avec How To Get From Heaven To Scotland
Mais c’est le premier qui nous intéresse avec ce Waxing Gibbous, cette lune gibbeuse, phases lunaires qui cernent la pleine lune. Sur cet opus, Middleton, peut-être proche de son crépuscule solo, nous prouve qu’il est à mille lieues d’une éclipse musicale. Après un Sleight Of Heart mi-chaud mi-froid mais toujours largement au-dessus des productions habituelles, son Waxing Gibbous a de sérieux airs de A Brighter Beat, sa plus belle production. Avec, on ne peut l’oublier, des joyaux, “Four cigarettes”, “A Brighter Beat”, “Fuck It I Love You”. Des morceaux-piliers d’une oeuvre déjà très riche, à 35 ans.

Cette fois et comme toujours, on endure le mal-être du rouquin à fleur de peau, exprimé tant par des textes pénétrants que par sa voix parfois empruntée de fébrilité, toujours de sincérité. Néanmoins, cette fébrilité semble se tapir à l’attaque de Waxing Gibbous, qui s’ouvre avec une chanson pop-rock efficace, un raz-de-marée baptisé “Red Travellin’ Socks” que l’auteur décrit comme son “Bohemian Rhapsody” à lui, ou son “Don’t Fear The Reaper”. Claviers effrénés, riffs de guitares bien balancés, piano, touche country… L’optimisme revient ? Pas si l’on en croit son analyse de la chanson, dans le mensuel Magic : « Écrite en vingt minutes après une tournée horriblement angoissante, passée à chanter trop de chansons dépressives durant trop de nuits. J’avais besoin d’une éclaircie, de composer quelque chose de léger, presque jetable. Et quoi de plus jetable qu’une paire de chaussettes, hein ? » Juste un défouloir donc, une mini-thérapie pour un morceau qui a aussi une facette “We’re All Going To Die”, sa chanson de Noël 2008. On le reconnaît alors : torse bombé, regard de défi, narquois, le majeur tendu. Un côté « je vous emmerde », où l’on revient à une rock attitude goguenarde, malmené par d’autres qui ont plus le look et moins l’esprit. Leçon, il faut le remarquer, donnée par un rouquin dégarni tout boudiné dans sa chemise. Il enchaîne avec “Kiss At The station”, toujours aussi vite, toujours cette voix, le souci d’une production impeccable, et un crescendo bandant.
Avant “Carry Me”, premier sommet de mélancolie après la légèreté apparente des débuts : « Will you carry me, when my legs have gone, will you carry me home… Will you prey for me as they’re taking me, prey for my soul » chante-t-il avant de développer sur un chanter-parler rythmé par quelques notes et un choeur de tadum-tadum. Magnifique.

On remarque que Middleton revient inlassablement à ses thèmes favoris. Il parle encore et toujours de la nuit, son refuge. Sur A Brighter Beat, elle tournait à l’obsession : “Fight Like The Night”, “Up Late At Night Again”, ou encore chantait-il sur “Four Cigarettes” : « You are the reason i’m up late tonight ». Une nouvelle fois, il en est question sur l’acérée “Don’t Want To Sleep Tonight”. Dans la beauté ambiante, submergée par la variété des arpèges, il se demande tout simplement pourquoi se lever quand, au réveil, rien ni personne ne vous attendra. Avant cela, le natif de Falkirk, aidé sur l’album par l’ancien membre d’Arab Strap Jenny Reeve et Kenny Anderson (autre Ecossais plus connu sous le nom de King Creosote, qui vient de sortir un magnifique album), prêtant leur timbre de voix, ne quitte pas des yeux une autre obsession : son mal-être, l’absence totale d’estime de soi.

Ainsi s’enchaînent “Zero” — qui porte bien son nom — et ses claviers rétros puis “Stop Doing Be Good”. “Shadows”, plus péchue, remet de l’essence dans la machine avant “Ballad Of Fuck All”, très Eddie Vedder, avec un rythme enveloppé par des « oh oh » et une guitare folk soyeuse. Les merveilles se succèdent jusqu’au bout. Et on adorerait parler des deux dernières chansons, mais elles ne figurent pas sur l’album promo fourni par la maison de disque. Un signe du destin peut-être, cela fera une poire pour la soif en attendant la suite. Car à peine les ultimes notes achevées, et l’on regrette déjà que Malcolm Middleton ait émis l’idée que ce puissent être les dernières. Tristesse, attente, addiction… C’est peut-être, simplement, tout le mal qu’il nous souhaitait.

– Le site de Malcolm Middleton

– Le Myspace de Malcolm Middleton