Manchester 1980 ? Non, Londres, 2009. L’histoire se réécrit ici et maintenant. Et ce fascinant épisode-là est pourtant parti d’une cour de maternelle…


Le calcul est simple. Romy Madley Croft et Oliver Sim, 20 ans à peine, se sont rencontrés en maternelle, il y a donc environ 17 ans, soit en 1992. Soit à l’aube de la britpop et en plein reflux grunge. On pourrait donc aisément croire que c’est vers les guitares bavardes ou bien braillardes qu’ils se sont tournés au moment de monter leur groupe, avec Baria Qureshi et Jamie Smith. Erreur. Derrière leur look proto-gotho-emo-core, The XX ne perdent pas de temps à se chercher un nom ou une identité visuelle et vont à l’essentiel. Soit exactement à contrecourant de tous leurs petits camarades. Pas de slims fluos, pas de boules à facettes, et pas de grattes hurlantes sur fond de boîtes à rythmes brûlantes. Non. Juste deux voix, une guitare jouée sur une corde, quelques nappes de Casio et une basse régulièrement énorme. Un peu comme si The Vaselines s’acoquinaient du côté dark de Manchester, marchant sur les pas d’un Ian Curtis en pleine poussée acnéique.

Fi de sarcasmes. Derrière ce patronyme minimaliste et cette culture de l’immobilisme se réfugie un groupe aux cerveaux bouillants. Ce premier album, sous son ascétisme millimétré et son âpreté rebutante a priori, éblouit par son écriture, à laquelle une place essentielle est octroyée. Ajoutez à ce sens de la mélodie vilement déplumée une science du silence épatante et vous obtenez une idée assez précise de l’univers de The XX. Et cet équilibre délicat et ténu constitue le grand tour de force de ce premier album qui, malgré une ambiance globalement sombre, parfois même macabre (et c’est à peine surjoué), n’empêche à aucun moment de respirer. Pourtant, le quatuor oppose à l’énergie éreintante des Klaxons et autres Lates Of The Pier une morgue glaçante. Figé le dos au mur, dans une lumière nocturne — comme sur le clip de “Crystalised” –, il semble faire corps pour interdire tout rai de lumière ou de frivolité, laissant même planer le doute quant à sa réalité. Mais c’est précisément dans ce paradoxe brillamment entretenu que réside tout le talent de The XX.

Cette noirceur n’interdit par exemple pas les deux leaders de chanter, toujours juste, parfois même merveilleusement. Souvent mixtes, les chansons offrent au duo Croft/Sim un tapis de velours vert qui leur permet d’évoluer telles deux boules de billard (numéro 8, évidemment) qui rouleraient de façon incessante, sans trajectoire ni but. Ces voix se tournent autour, s’enlacent, chantent deux phrases différentes en même temps — “Crystalised” –, et finissent par s’entrechoquer. Les longues plaines désertiques et asséchées semblent souffler un vent de sauvagerie pure, toute entière rentrée en elle-même. Quant aux musiques, elles paraissent être élaborées comme on construirait pièce par pièce, pierre par pierre, un champ de ruines sur lequel planerait l’esprit des auteurs.

Bien sûr, les références sont évidentes — la Sainte Trinité Joy Division/The Cure/New Order, dans l’ordre d’arrivée –, et fleurent bon la réponse à l’appel d’offres de marché public. N’empêche, cette guitare qui se la joue funambule en plein soliloque, ces claviers asthmatiques — “VCR”, “Heart Shipped A Bit” –, cette basse volcanique — “Islands” ou mieux encore “Fantasy”, en vous souhaitant de posséder des enceintes à même de supporter de telles fréquences — et toujours ce bal des spectres, souvent bouleversant, comme sur “Shelter” où Romy, seule, semble peindre la forêt noire qui l’entoure et qui va lui coller la trouille de sa vie.
The XX, avec leurs goûts éclectiques — ils se sont d’abord fait remarquer sur des reprises surprenantes, dont Womack & Womack ou Aallyah — et leur univers monolithique séduisent avec un disque résolument mélancolique, parfois même triste, mais avant tout transgénérationnel. Ré-inventant la musique de peu, ils réussissent surtout un redoutable premier album. A charge pour eux de ne pas sombrer et surtout de ne pas s’autoparodier à l’avenir, car c’est bien là le danger. En attendant, jouissons de ce plongeon dans la poix, et réjouissons-nous que la tristesse soit encore motrice de disques fascinants comme celui-ci.

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