Après quelques concerts d’anthologie, le loup est maintenant devenu une meute à l’aura troublante. Quelque part entre le chaos et le paradis, harmonies enchanteresses et folk tribal se disputent sur ce second opus majestueux.
Concédons-le, nous ne nous préparions pas à un tel séisme ce soir de février 2008. Dans la chaleur traditionnellement étouffante de la Maroquinerie parisienne, Le Loup honorait la première partie d’Idaho, un des grands fétiches de ces colonnes. Bien qu’ayant été agréablement apprivoisés par un premier album captivant, les jeux semblaient déjà joués pour les jeunes loups américains, le spleen déstructuré de la tête d’affiche ayant, en toute logique, notre faveur. Mais comme dans la musique rien n’est jamais acquis, ce sont nos outsiders qui ont littéralement tout soufflé sur leur passage, pauvres petits cochons que nous étions. Passionnel et fusionnel, le quintet formait ce soir d’octobre un cercle de feu — et Dieu sait pourtant que nous vénérons au plus haut point l’art du vétéran slow coreux Jeff Martin. Il fallait voir cette vigoureuse chorale rock s’époumoner à tue-tête : tout était là sur scène, parfait, d’une flamboyance à fendre littéralement la foule en deux (au sens propre comme au figuré), elle nous évoqua ce premier concert parisien d’Arcade Fire au Nouveau Casino. C’est dire si l’affaire est sérieuse.
Après une telle leçon, autant dire que nous avons rongé notre frein dans l’attente de ce second opus. Auparavant, quelques prémices annonciatrices auraient pourtant dû nous alerter. Un premier album bien accueilli, The Throne Of The Third Heaven of The Nations Millenium General Assembly (2007) oeuvre d’un seul homme, Sam Simkoff, et déjà un concept démesuré tiré de L’Enfer de Dante, liturgique et tribal. Quelle audace pour un premier album ! On devait se douter qu’ils n’en resteraient pas là… Depuis, avec le groupe qui l’assiste, Le Loup a fait du chemin, ou plutôt de la route. Comme on dit au théâtre, rien de tel que les tournées pour souder une troupe. Cette unité se retrouve sur Family le bien nommé, cette fois entièrement composé par le quintet.
Outre ce visuel pigmenté qui donnera matière à comparaison pour les amateurs d’Animal Collective, Family représente un fascinant nuancier d’émotions. Une folk déviante, où l’exigence instrumentale baroque et majestueuse des barbus de Fleet Foxes et la pop fauve et déréglée d’Animal Collective convolent en juste noce. Alors que The Throne… exhalait un folk incantatoire empli de spiritualité sacristique, l’esprit de Le Loup prend sur ce second album une autre dimension car transporté par un rythme organique stupéfiant. Cette puissance inédite est perceptible dès la seconde plage, “Beach Town”, qui se charge de couper le cordon avec l’austérité (relative) du premier album et nous parachute dans une jungle dense et répétitive, jungle accédant à un sanctuaire sacré d’harmonies vocales.
Aussi imposantes ces tambourinades soi-elles, ces étranges remous superposés ou opposés à la béatitude de choeurs en canon — on pense beaucoup aux Beach Boys pour la pureté cristalline des harmonies — provoquent un état d’amplitude sonique tout à fait singulier, serein et envoutant à la fois. Et si la pulsion s’accélère, cette alliance peut prendre des allures festives (« Sherpa »), voire chavirer vers une grandeur rock proprement fulgurante. A l’instar de la suite “Family/Forgive Me” où un thème orientalisant calme ouvre la voie à un percussif et vibrant “Forgive Me”, qui prend des hauteurs insoupçonnées porté qu’il est par des vrombissements de guitares shoegazing. On pense alors avoir atteint le sommet de Family, mais voilà qu’en guise de finale, la pièce montée euphorique “A Celebration” grimpe à nouveau vers les cieux à vitesse grand V.
Dès lors, ce sentiment dégagé sur scène se confirme aussi sur le sillon noir : lorsque Le Loup se lève, il est capable de destituer sur le champ la flamme légendaire des canadiens Arcade Fire. On dit que l’union fait la force, Family en est la preuve étincelante.
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