Abstract Hip Hop ? Acid hop ? Avant pop ? Art pop ? Laissez tomber les qualificatifs, le quatrième opus du collectif d’Anticon est un disque de pop… psychédélique, gorgé de piano et d’instruments organiques. Fondant.


Ces morceaux là seraient tombés comme des cheveux sur la soupe d’Alopecia, un album qui donne son nom, douce ironie, à la perte capillaire. Difficile par ailleurs d’imaginer qu’Eskimo Snow découle de chutes de ch… studios du précédent opus du collectif interrogatif d’Anticon, tant l’ouvrage est parfaitement abouti. D’autant plus que la barre avait été placée assez haut sur le gargantuesque troisième album de Why ?, un disque dense, échevelé, voire touffu (en continuant dans nos bons mots qui ne font poiler que nous, arf !). De ces dix compositions sorties du placard et présentées ici dans un format condensé, c’est-à-dire expédiées en 35 minutes, une question reste en suspend : et si ces titres sciemment écartés des « Alopecia sessions » étaient meilleurs que ceux retenus ? La réponse est oui, car Eskimo Snow, transfusé d’une double dose de psychotropes pop, ne correspond pas tout à fait à la couleur générale de son prédécesseur.

Tout comme TV on The Radio ou encore Animal Collective, Why ? fait partie de cette caste de musiciens émancipés venant d’horizons étrangers au rock, impossibles à catégoriser. Prompts à démanteler les codes tout en restant ardemment attachés à la beauté mélodique. Et même si Why ? récolte aujourd’hui moins d’éloge médiatique que ceux cités plus haut, rappelons que déjà en 2001, du temps de la collaboration de cLOUDDEAD avec Hood, Yoni Wolf avait bien avant tout le monde contribué à lever des barrières en opérant la fusion du post-rock et des breakbeats capiteux. On admire cette échelle de progression ininterrompue, alors que certains s’essoufflent déjà…

On le sait depuis le tournant décisif opéré sur Elephant Eyelash — son chef-d’oeuvre — et le Sanddollars EP (2005), Yoni Wolf s’est écarté de sa science solitaire des machines en sollicitant sur disque ses musiciens de tournée — Doug McDiarmid, Matt Meldon, et Josiah Wolf (le grand frère de Yoni). Le collectif s’est réinventé en groupe, au sens organique du terme, où chacun est pleinement impliqué dans le processus créatif. De l’avis même du grand Wolf, Eskimo Snow serait le disque le moins hip hop qu’il n’ait jamais enregistré. En effet, ce sont certainement ses mélodies les plus directes et harmonieuses à ce jour. Il en résulte que délesté des machines, il s’écarte sans état d’âme des chantiers d’abstract hop pour aller vers une épatante concision d’écriture. Et un grand disque de pop psychédélique. Le collectif de Cincinnati n’a plus peur de se frotter aux instruments entiers. A tel point que bon nombre de morceaux sont enregistrés dans des configurations « live ». Reste toujours cette voix nasillarde, indécise entre chant et flow, qui émeut régulièrement.

Au sein même de cette émulsion collective, une batterie éradique les boites à rythme sur la quasi totalité de l’album, et les guitares électriques présentes sur Alopecia prennent aussi la tangente. Que reste-il alors ? Et bien un piano qui prône la dominance mélodique, enrobé des scratchs et samplings acidulés à la manière de l’exercice pop surréaliste “This Blackest Purse”, ou “Against Me” à la mélodie identifiable d’emblée qui nous ensorcèle avec son beau motif de toy piano. “Even the Good Wood Gone” aussi, formidable folk song onirique au spleen fébrile. Seul rap(pel) bariolé des débuts, l’épilogue “Eskimo Snow” nous fait fondre avec quelques arpèges acoustiques fragiles et des effets de vinyles craquelés.

Avec Eskimo Snow, Why ? vient de clôturer une trilogie parfaite, savante et mutante, à la lisière de la pop psychédélique et du hip hop expérimental. Dans ce domaine, personne n’a été aussi loin jusqu’ici.

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