Qu’est-ce qui fait que malgré le confort de la notoriété installée, la facilité et les gros clichés, on continue à aimer notre Miossec national ? La réponse dans ce nouvel album, parfaite illustration de la demi-teinte.


On ne barguignera pas, Miossec a livré, dans toute sa carrière, trois albums impeccables, les trois premiers, la fameuse trilogie Boire/Baiser/A Prendre (1995, 1997 et 1998) — quoique chacun moins impeccable que le précédent. Depuis, de Brûle (2001) à ce Finistériens, Miossec se cherche, pond des chansons magnifiques, et d’autres parfaitement ridicules. Il y a toujours eu un peu de ça, chez Christophe Miossec : on n’a jamais tranché entre ce gars déchirant, dévasté par son amour de la cuite, et son avatar, sa propre caricature, quand cette saleté de cuite devient mauvaise. On a vu Miossec génial en concert, on l’a aussi vu complètement nul. On l’a vu à jeun et on l’a vu bourré, et sans forcément de lien de cause à effet avec le constat précédent. Puis on l’a admiré au sommet de la nouvelle chanson française (si tant est que cette expression n’ait jamais signifié quoique ce soit) comme on l’a honni quand il couchait avec la variétoche, et notamment son pire représentant, Johnny — dont il s’est toujours déclaré fan, comme son propre père. Miossec a même réalisé l’exploit de nous faire adorer Jo Dassin par sa reprise de “Salut les Amoureux”, alors qu’il nous a fait un peu plus gerber quand il faisait des mamours à ce gros réac de Renaud. Bref, Miossec nous a rendus chèvres et continue encore aujourd’hui, car lui-même n’a pas terminé sa thérapie. Alors, forcément, quand on s’est jeté sur ce disque qui trônait en tronche de gondole, c’était pour mieux y trouver les daubes sur lesquelles s’acharner.

Et de daubes, Finistériens contient son lot. Ce que l’on a adoré chez Miossec, quand il s’est offert à nous, nous gonfle prodigieusement aujourd’hui, à commencer par son côté « regardez comme je soigne mon public prolo de gauche ». Forcément, en pleine ère sarkozyste à l’économie ultra-libérale, le breton s’en donne à coeur joie, mais aboutit à des chansons grotesques dans leur costume démago : “Les Chiens de Paille”, “CDD” et “Jésus au PMU” qui ont la prétention d’ausculter le méchant monde du travail et ses victimes ouvrières dans leurs loisirs équestres, sont parmi les pires textes qu’il n’ait jamais écrits, clichés, grossiers, sommets de platitude. L’autre versant de Miossec qui nous sort par les trous de nez est son autoportrait victimisant, avec l’auto-apitoiement comme prétexte à de la poésie de comptoir — de PMU ou d’ailleurs, le comptoir fait définitivement partie de l’univers du brestois, y compris dans le joli livret qui accompagne cet album et son site Internet. Il en est ainsi de la mièvre “Les Joggers du Dimanche” ou de la très mauvaise “Haïs-moi” où il tente son sempiternel acte de contrition sur fond de roulement de tambour.

Mais comme Miossec est un être autrement plus complexe qu’un portrait en dernière page de Libé, et que son art est autrement plus douloureux qu’une simple collection de pièces musicales plus ou moins réussies, Finistériens recèle aussi quelques bijoux dont il faudra vite sertir sa couronne de Roi des Couillons. Car ce qui rend le chanteur attachant, c’est son manque total et sincère de recul sur ses propres productions. Ainsi le voit-on remplir chacun de ses albums de ses récentes compositions, sans forcément se retourner ni effectuer un tri — autre que celui de l’ami Tiersen, pas forcément objectif, mais on y reviendra. Et c’est pourquoi il est tellement indispensable, pour bien appréhender un album de Miossec, d’y revenir régulièrement. Car pour ce qui est des belles chansons, Finistériens est à classer du côté de 1964 (2004), sa dernière vraie réussite, depuis 1999 s’entend. Dès l’ouverture, “Seul ce que j’ai Perdu” glisse entre les doigts comme un filet d’eau fraîche, jolie bande son d’un câlin à l’aube qui s’achève en hymne à la vie, torse nu au vent et pieds (nus aussi) dans la rosée. Plus loin, “A Montparnasse” voit le chanteur courir devant un piano increvable, dévasté de colère intime et d’amour inassouvi, un tumulte de frustrations en guise de carburant explosif. Heureusement, “Nos Plus Belles Années” ramène le débat dans un contexte moins orageux, quand les remords rongent mais que la tristesse prend le dessus.
Puis arrivent les trois derniers titres, en long et splendide crépuscule. “Fermer la Maison”, d’abord, initialement destinée au dernier album de Bashung, Bleu Pétrole, mais écartée au dernier moment : et de constater combien le regretté mentor tirait définitivement ses auteurs vers le haut — comme il l’avait déjà fait pour notre marin d’eau douce, avec “Faisons Envie”, pièce mystérieuse du grandiose L’Imprudence. “Loin de la Foule” est probablement une des plus belles pierres du trésor de Miossec : texte dur et poignant, mélodie arachnéenne, chant habité, tout respire le travail acharné d’un artisan modeste mais perfectionniste. Et enfin, conclusion en beauté sur “Une Fortune de Mer”, première chanson ouvertement connotée maritime depuis l’immense “Recouvrance” en 1995, est une vraie perle noire avec ses mots crevards et son teint cireux.

Miossec, s’il est un auteur reconnu à juste titre, n’a pour autant jamais été un compositeur remarquable. Et l’évolution de sa carrière a aussi parfaitement reflété celle de ses collaborations. Ses trois premiers disques, ses plus réussis, furent aussi ceux de l’entente avec son hémisphère gauche Guillaume Jouan, pièce maîtresse de l’univers du chanteur, qui brille toujours par son absence aujourd’hui. Puis ce fut le tour de Mathieu Ballet de commander la réalisation de Brûle, pour un résultat brinquebalant et chaotique, mais toujours touchant. Sauf que Miossec n’était déjà plus complètement Miossec. Même la collaboration réussie avec Jean-Louis Piérot (des Valentins) sur 1964 , orné des arrangements en arabesques du grand Joseph Racaille, ne parvenait pas complètement à le libérer. D’autant que le match retour aboutit, deux ans plus tard, à l’album le moins intéressant de cette discographie en grand huit, L’Etreinte, un disque approximatif, grandiloquent et ouvertement racoleur derrière sa production majestueuse — avec toutefois “La Mélancolie”, soleil noir d’un disque un brin putassier.
Il n’est donc rien de dire que l’on attendait énormément de cette collaboration si évidente avec l’autre breton de la scène française, le taiseux Yann Tiersen qui se charge de la totalité des arrangements. Et il est surprenant de constater combien la qualité de ses réalisations épousent parfaitement la teneur des textes de l’auteur. Chacune des réussites du parolier et chanteur sont magnifiées par des arrangements ténébreux et équilibrés — “Montparnasse” –, ou totalement évanescents et impalpables quand il s’agit de pianoter sur des mots sanguinolants. Le paradoxe est qu’il en est de même avec les ratés de l’album tant les arrangements vaguement post-rock de Tiersen sur des textes déjà brouillons sonnent lourds, empâtés, enkystés dans un maniérisme rock mal maîtrisé. D’autant que le multi-instrumentiste, s’il est un musicien souvent émouvant et brillant, n’en est pas moins un metteur en sons assez moyen. Ses albums personnels ont toujours un peu souffert du manque d’espace qu’exigeraient ses musiques. Et force est de constater que ce son étriqué dessert les arrangements ambitieux et majoritairement passionnants de Finistériens. Dommage, vraiment dommage qu’une telle complicité n’aboutisse finalement à rien d’autre que cet album qui souffre d’avoir été réalisé en vase clos. Manquent à cet ouvrage à quatre mains les doigts d’or de JL Piérot ou la mise en perspective, voire en relief, qu’aurait pu apporter un gars de la trempe de Christian Quermalet (Married Monk), ce mec énorme rompu aux arcanes de la musique de Tiersen. Finistériens souffre de ne naviguer qu’en deux dimensions.

Finalement, 6 sur 11, c’est déjà plus que la moyenne. Et la moyenne est depuis longtemps ce que l’on attend de mieux de Miossec. De pire aussi. En attendant la suite, ce n’est donc pas si mal…

– Son site officiel