Vous savez ce qui vous ferait du bien, là, tout de suite ? Une bonne rouste. Et pour ça, comptez sur Black Diamond Heavies, Cut In The Hill Gang et The Jim Jones Revue, trois meutes qui oscillent entre grandguignol et fureur. Sous le saint patronage de Little Richard ou Screamin’ Jay Hawkins… Shake your ass, baby !!


Peut-être, un jour de désespoir êtes-vous tombé sur un disque d’Andre Williams ou de R.L. Burnside. Vous avez sûrement posé vos feuilles sur un album de John Spencer, de The Lords Of Altamont ou Black Keys. Si ça se trouve, vous avez même adoré les morceaux les plus lourdingues de la formidable B.O. de Death Proof de Tarantino. En ce cas, vous êtes prêts à toucher le fond.
Les trois combos défendus ici n’ont aucun avenir dans le Rock’n’Roll Hall Of Fame (ou presque), ne font pas progresser le schmilblick d’un demi-mediator et ne semblent pas mûrs pour le chef-d’oeuvre. N’empêche, ce qui a retenu notre attention sur ces O.M.N.I., c’est cette propension désarmante à se jeter corps et âme dans le rock le plus basique et le plus brutal qui soit. On ne parle pas de baveux qui étirent leurs solos sur des plombes ou de petits morveux qui ont d’abord acheté des tiags avant que de savoir comment s’accordait une Fender. On parle de mecs qui ont oublié d’acheter un T-shirt avant de partir en tournée et dont le dernier shampooing remonte à la photo de classe en maternelle. On parle de mecs pour qui le rock’n’roll est, non seulement un art de vivre, mais aussi leur seule raison de ne pas crever. On parle enfin de disques immédiats, directs, braillards, et accessoirement formidables. Thèse/antithèse/synthèse. Attention, ça gicle.

Black_Diamond_Heavies.jpg
Voilà une formation pour le moins iconoclaste. Régulièrement actifs en duo, ces deux animaux-là présentent la particularité de jouer un rock résolument rentre dedans sans la moindre trace de guitare. En cela, voilà typiquement une bande qui puise dans les sources du rythm and blues le plus trash des années 50/60, illustré par l’immense Screamin’ Jay Hawkins dont les Black Diamond Heavies ont surtout retenu les éructations (mais pas forcément celles de “Constipation Blues”) et le massacre en règle du piano. James Leg, le chanteur, est doté d’un organe à faire passer Iggy Pop pour Vanessa Paradis. Et s’il ne lésine pas sur la pression exercée sur les touches de ses Fender Rhodes, Orgue Hammond, Tack Piano et autre claviers, il n’en oublie pas pour autant de chanter, fort, certes, mais juste. Appuyé par la batterie monumentale du brutal Van Campbell, saturée autant que possible, James Leg se livre à des interprétations poignantes. Paradoxalement, il faut pour s’en convaincre écouter la superbe (et unique) ballade , extraite du bien nommé deuxième album A Touch Of Someone Else’s Class (Alive Natural Sound, 2008), et apprécier cette voix de succube surfer sur le sax de Ralph Carney ; ce titre est même le tube du disque, le seul aussi qui s’offre une guitare — et pas des moindres, celle de Dan Auerbach — et des choeurs. Bref, il faut, pour accéder à l’univers sauvage, schizo et reclus de Black Diamond Heavies, y entrer par une ballade avec invités. Car une fois la bouffée d’oxygène aspirée, il est utile de préserver ses arrières avant de crouler sous les coups de semonces du duo. Mais derrière cette agressivité (on ne parlera tout de même pas de violence) se dessine un véritable amour pour le rock des bas-fonds et du petit peuple campagnard des années 50/60. Au-delà du simple hommage, Black Diamond Heavies cherche avant tout à ressusciter une musique aussi sauvage (au sens littéral du terme) que séminale. Traçant une ligne droite entre le XXIème siècle et cette période bénie, négligeant volontairement The Doors, autre groupe à orgues bien connu. Et Black Diamond Heavies pose clairement, derrière son discours simpliste et son goût pour le binaire, la question de l’authenticité. Car les deux bruteaux de Tennessee (Kentucky), ne cherchent pas l’authenticité à tout prix, jouant leur musique comme elle vient. Leur curseur s’est arrêté il y a plus d’un demi siècle, et pour autant leur musique ne sonne en rien rétrograde. D’abord c’est jouissif, ensuite c’est troublant.

Black Diamond HeaviesA Touch Of Someone Else’s Class (Alive Natural Sound – 2008)

– Le MySpace de Black Diamond Davies (Tennessee, Kentucky)

– En écoute, “Solid Gold” :

*****

Cut_In_The_Hill-2.jpg
Également originaire du Kentucky, Cut In The Hill Gang est un faux nouveau groupe. Mené par Johnny Walker (ça ne s’invente pas), dont le premier groupe, Soledad Brothers, fut produit par Jack White, cette meute à la forte tête déborde du strict cadre rock’n’roll. D’abord parce que Walker est un guitariste incroyable — qui a trouvé en Brad Meinerding un rival phénoménal –, ayant même appris le maniement de son instrument à White quand celui-ci décida de céder ses baguettes à sa copine Meg, pour le succès que l’on sait. Ensuite parce qu’il n’est pas chanteur à s’amputer d’une corde vocale à chaque saillie. CITHG ce serait plutôt un cours d’histoire de la sale musique des Etats-Unis. A moins d’être une énorme star, être un rocker aux States s’apparente plus à l’état de looser que de génie. A l’aune de cette considération tueuse de mythe, le trio de Convington se révèle courageux en sillonnant une carte souterraine de la géographie rock d’outre-Atlantique. Car rien ne respire la fraîcheur dans ce premier album mais tout y a le parfum du dévoiement et du pacte diabolique. Loin des turpitudes des top-models de la Grosse Pomme, le trio préfère amener ses chansons là où la vie hésite à poser un pied, où les serpents meurent piqués par les crotales, et où les hommes ont redécouvert l’eau pour éteindre le feu de leur foie. Entre blues du Mississippi, folk crasseux du Montana et garage rock miteux de Detroit, Cut Down (Stag-O-Lee/Differ-Ant, 2009) — qui se trouve aussi doté d’un tracklist légèrement différent dans le commerce sous le nom de Hung Up, avec toujours cette joie de vivre, en rapport avec la jaquette — le trio revisite ses classiques et leur colle une violente volée de bois vert, avec en prime une injection en intra-veineuse d’électricité supplémentaire. Mais ce qui fait de CITHG un groupe résolument précieux est cette écriture fureteuse alliée à un son direct. Ainsi, les trois adeptes des vestes à col mouton (cf. l’iconographie du groupe) font une musique garage, pouilleuse et âcre, mais brillent aussi par les constructions alambiquées de leurs compositions. Tout en étant à l’opposé des premiers dans la démarche, ils les rejoignent dans leur langage sans fard et sans artifice — l’emblématique “Rock’n’roll”, tuerie en mode mineur(s). Ils sont ainsi au vieux blues si cher à T-Model Ford et Burnside — écouter leur reprise de “Fever In My Blood”, et John Spencer paraît soudain tel un puceau devant une star du X — ou au folk rock de Bob Dylan ce que seraient les irrésistibles Les Savy Fav dans le punk américain : des passeurs avides de sang, sans qui la chaîne se briserait et se rendrait définitivement disponible pour les musées. Soit l’exact inverse de l’idée du garage rock, une musique immortelle, sans âge, et inaccessible aux outrages du temps. Un nom à retenir car l’ombre risque vite de devenir un vieux souvenir pour Cut In The Hill Gang.

Cut In The Hill GangCut Down (Stag-O-Lee/Differ-Ant – 2009)

– Le MySpace de Cut In The Hill Gang (Convington)

– En écoute, « Soul To Waste » :

*****

Jim_Jones_Revue.jpg
Et pour conclure en beauté, achevons notre petite promenade en compagnie de grenouilles londoniennes en quête de princesses, au doux son de la guitare électrique. Le premier refrain du premier album de cette bande de furieux donne le La : « I’m a man, I’m a man/And I’ll show you how ». Attendu que le bellâtre s’adresse à sa douce sur un ton que d’aucun qualifierait d’hallucinant, personne ne souhaiterait se trouver sous la bidoche de Jim Jones, l’auteur de cette déclaration. The Jim Jones Revue se rapproche bien plus, sur la mappemonde du bruit et de la fureur, de ce que peuvent offrir les Black Diamond Heavies que de Cut In The Hill Gang. Toujours sous l’oeil bienveillant du fantôme de Screamin’ Jay Hawkins (qui n’a rien de Casper, on l’aura compris), le quintette se livre à une exécution dans les formes du boogie le plus frontal que vous puissiez imaginer. On peut raisonnablement utiliser le terme de violence pour TJJR tant leur rock oldies frise l’hystérie à chaque note. Sauvage, rebelle, totalement débridé et délirant, on se demande comment cinq corps humains peuvent rentrer ainsi en osmose pour se livrer à un tel massacre. Sauf que ce massacre est parfaitement maîtrisé, que la brutalité du son ultra-saturé (à la limite du supportable) est parfaitement assumée et revendiquée, et que les références ne révolutionnent en rien le genre sauf à leur offrir tout le volume auquel elles n’avaient jamais eu droit jusque-là. Le but ultime de Jim Jones et de ses sbires est l’exutoire pur, la libération la plus totale. On imagine que le combo doit sortir lessivé, rincé, essoré et malgré tout extrêmement sale de ses concerts. Pour autant, malgré ce côté complètement premier degré, cette musique jubilatoire ne fait appel à rien d’autre qu’à votre bestialité, celle que vous aviez soigneusement rangée de peur d’épouvanter votre boss ou à votre copine. The Jim Jones Revue est un groupe débile et génial, idiot et délicieux, votre meilleur ami et votre pire cauchemar. On prend bizarrement un pied phénoménal à écouter d’une traite ce disque sans finesse ni subtilité. Publié qui plus est sur le label qui a le mérite d’annoncer la couleur : Punk Rock Blues (2008, Cargo). D’abord parce qu’il est magistralement exécuté. Ensuite parce qu’on a tous eu, un jour, envie de tout péter, et que ce premier album nous en fournit — virtuellement, mais c’est déjà ça — l’occasion. La vie étant pleine de surprises, et pas toujours bonnes, autant prendre les plaisirs simples quand ils se présentent et en jouir sans tremblement : ce disque répond à cet instinct vital et honteux. En un bloc, sans respiration ni pause. Énorme…

The Jim Jones RevueS/T (Punk Rock Blues/Cargo – 2008)

– Le MySpace de The Jim Jones Revue (Londres)

– Pour finir en douceur, “Princess & Frog” :