En provenances des cottages verdoyants britanniques, une folk aristocratique augmentée d’archets et d’harmonies oniriques. Comme le disait la chanson, le dormeur vient de se réveiller…


Avec six mois de retard, voilà qu’enfin The Sleeper, ce petit trésor de folk enchantée, traverse la Manche. Oui, un énième album de folk. L’affaire peut même être agaçante tant chaque semaine bourgeonne dans les bacs de nouvelles sensations tentant de se faire une place dorée aux côtés des Fleet Floxes. Depuis le succès fulgurant des Zorro de la tanière Sub Pop, on constate que toute maison de disque se doit d’avoir dans son catalogue un groupe de folk psychédélique digne de ce nom. Pourtant, au sein de cette scène engorgée mais artistiquement riche, il demeure peu d’élus aux yeux du grand public, le succès des Fleet Foxes restant exceptionnel — à leur rival new yorkais Grizzly Bear de décrocher la couverture de Télérama, bien que les ventes ne soient pas comparables. Dans ce contexte d’agenda de sorties surchargé, nos oreilles vigilantes ont tendance à se relâcher, de guerre lasse. Mais voilà, un bon disque demeure un bon disque, l’addiction prend le pas naturellement, comme pour The Sleeper.

Il était temps d’ailleurs, la réponse du Royaume-Uni se faisait attendre. N’en déplaise aux anciens, l’élite acid-folk aujourd’hui apparaît comme la chasse gardée des américains. En atteste, les figures de proue mentionnées plus haut, la palette de styles dans le style qui s’étend de Cocorosie jusqu’à Midlake en passant par Six Organs of Admittance, voire l’agaçant mais généreux Devendra Banhart, est aussi large que le territoire des États-Unis. Côté insulaire, il n’y avait que The Earlies pour sauver la Reine — et encore, une moitié du duo est américain. The Leisure Society tombe donc à point nommé.
A la tête de cette société de loisirs, Nick Hemmings à la barre. Un control freak qui a déjà eu plusieurs vies au début des années 90, en tant notamment que membre des ténébreux shoegazers The Telescopes ainsi que She Talks To Angels, dont l’histoire n’a par contre rien retenu. Hemmings n’est donc pas tout à fait né de la dernière giboulée londonienne, il a pris le temps d’affûter son songwriting. Ce qui sidère d’emblée, ce sont ses harmonies vocales lustrées : ailleurs d’autres confrères évoquent Midlake et ce n’est pas faux, mais il faudrait aussi rajouter l’ascendance aristocratique de The Left Banke, grands ténors sixties de la pop baroque orchestrée. Car il y a chez The Leisure Society une inclination à écrire de grandes mélodies pop, garnie d’orchestrations à la brillance quasi maniaque. Comme si cela ne suffisait pas que Nick Hemming et son compère Christian Hardy totalisent à eux seuls une trentaine d’instruments sur les crédits de l’album, une dizaine de musiciens en sus viennent étoffer l’ensemble : section de cordes, clarinettes des bois, sitar, ukulélés, boules parlantes, flûte alto, accordéon, harmonium, banjo, glockenspiel… ça grouille de bruits au sein de cette forêt musicale à la belle nuit étoilée.

Bien que localisée en Angleterre, la folk merveilleuse de The Leisure Society n’appartient pas à un territoire géographique défini, et préfère établir un grand pont entre pop/folk west coast sixties et la sophistication pop de ses contemporains (les instantanés “Save it for Someone Who Cares”, “A Fighting Chance”, “A Matter of Time” ). Sous l’écorce des guitares sèches, l’écriture mélodique à tout de même quelques accointances avec celle imparable du couple Lennon/Macca dans une version pastorale — cela dit, influence universelle évidente pour tout groupe qui se prétend pop. Mais c’est tout de même flagrant sur “The Sleeper” qui se fend d’une progression d’accords sinueuse piquée dans le nid de “Blackbird” et réorchestrée dans un tourbillon de choeurs et cordes. On conseillera d’ailleurs fortement de prêter une oreille à leur somptueuse reprise de “Something” pour le magazine Mojo (à savourer sur leur Myspace). Il y a aussi le crachin londonien typique qui vient se poser sur “We Were Wasted”, seule folk song dévastée de l’album. Et puis la pièce qui met tout le monde d’accord, “The Last of the Melting Snow”, petite merveille qui se réapproprie le thème mélodique d’Only Love Can Break Your Heart de Neil Young et le pousse dans des retranchements oniriques absolument géniaux. Une correspondance quelque part entre Liverpool et Toronto, quand on vous disait que The Leisure Society établissait un grand pont. Ou, tout bien réfléchi, plutôt un arc-en-ciel…

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– À voir, le clip « Save it for Someone Who Cares » :