Cauchemardesque, hypnotique, kraut, hard rock, synthétique, organique, cinématique… Tels sont les mots qui nous viennent pour qualifier ce troisième trip dérangeant du français Turzi. Mention « B+ ».
Alerte ! Des choucroutes volantes non identifiées envahissent la capitale ! « Non identifiées », le mot n’est pas tout à fait exact : ces éminences noires, maîtresses de l’épopée Kraut et acid rock, se prénomment Zombie Zombie, les psychédéliques Kill For Total Peace, Aqua Nebula Oscillator ou encore le prince interstellaire Juan Trip. Même l’Angleterre nous envie ces p’tits français qui se sont réappropriés les codes de la musique répétitive organique pour les propulser dans un XXIe siècle de transe décadente. Quant au versaillais Romain Turzi, l’un des plus brillants stakhanovistes de cette scène vivifiante, il continue sa saga alphabético(smique) avec B, deux ans après le ténébreux A.
Pour échafauder les épopées psychotiques instrumentales de ce troisième opus, le multi-instrumentiste et son groupe de forçats rock (Sky Over, Judah Warsky, Gunther Rocks et le plus beau, Arthur Rambo) ont pris le maquis insulaire en Corse du Sud, non loin de la bergerie cachée d’Yvan Colonna. Puis finalisation à Paris avec la co-production d’Erwan Quinio, déjà de l’aventure précédente. Mais avis aux brebis égarées et gentils petits lapins blancs, ce disque n’est pas à mettre entre les mains de tout le monde. Plus pesant que le précédent, des guitares fuzz en fusion et nappes synthétiques malsaines laissent planer une sombre menace sur ces dix titres, mystérieusement introduis par la lettre B…
Devenu maître de la densité sur A, Turzi contrôle désormais l’espace et parvient à créer une tension qui étire le temps, à même de traverser des failles spatio-temporelles. Au-delà de l’influence de l’école allemande, Turzi pioche dans un univers cinématique, voire cinéphile, où se transfigurent quelques monstres charmants : The Goblins du baroque Suspiria (avec l’usage d’un bouzouki, cithare et cymballum) et les synthés glauques de John Carpenter sont certaines de ces réminiscences. Sur “Buenos Aires”, des claviers dépeignent — en dépit des erreurs géographiques du titre — le Los Angeles futuriste ultra pollué et lyrique de Vangelis, puis nous jettent dans les cachots des prisons d’Istambul avec Giorgio Moroder. Apocalyptique, “Bogota” invoque la planète Oxygène de Jean-Michel Jarre ravagée par la pollution et les changements climatiques.
Deux seuls vocalistes, mais pas des moindres, viennent poser leur voix sur deux morceaux : la gouaille inimitable de Bobby Gillepsie sur le cataclysmique “Baltimore” : porté par un beat d’enfer, on se croirait revenu miraculeusement du temps d’XTRMNRT (2000) — la production additionnelle et le mixage ont d’ailleurs été réalisés par Max Heyes (Primal Scream, The Doves…). Et puis la reine des Kéké, Brigitte Fontaine en personne, clôture ce rituel de sorcellerie. Dans son élément sur bamako et plus zélée que jamais, elle semble avoir pour de bon traversé la 4e dimension, incantant des paroles qui n’ont aucun sens pour le genre humain. La vérité est ailleurs, sur la planète Turzi.
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– Le site de Record Makers
– Lire également la chronique de A (2007)
– Écouter le morceau « Buenos Aires » :