Lorsqu’il s’agira, bientôt, de regarder dans le rétroviseur de l’année 2009, il y a fort à parier que cet Eternal Sunside occupera une place de choix parmi nos favoris. Quatre ans après A Blessing, le batteur et percussionniste américain John Hollenbeck redonne en effet vie avec maestria à son Large Ensemble constitué d’une vingtaine de musiciens menés par la baguette experte de JC Sanford, dont les saxophonistes ténor Tony Malaby, Dan Willis et Ellery Eskelin (remarquablement intégrés, presque à contre-emploi), l’omniprésent pianiste Gary Versace ou le tromboniste Rod Hudson. Au programme, six compositions peu orthodoxes, toutes plus admirables les unes que les autres, qui ont initialement fait, chacune, l’objet de commande officielle (de la part du Scottish National Jazz Orchestra, du Orquestra Jazz De Matosinhos, etc.). La palme revenant sans hésiter au titre éponyme, chef-d’oeuvre opulent de dix-neuf minutes qui développe une palette de timbres, de textures, d’harmonies (y compris vocales — Theo Bleckmann), de dynamiques et d’alliages mélodiques sans commune mesure. Le jazz ne constitue ici nullement un horizon exclusif, conjugué qu’il est à la musique classique contemporaine et minimaliste de sorte à déborder sans cesse son pré carré, à inventer sa propre forme au gré des fluctuations ou des paroxysmes instrumentaux, des accélérations ou ralentissements de cadence, des courants souterrains ou du vent d’émotions qui emportent conjointement musiciens et auditeurs. “The Cloud” résume ainsi parfaitement le sentiment dominant qui se dégage à l’écoute du disque : en mouvement perpétuel, enflée d’intensités imprévues, aussi bien en expansion qu’en crise, la musique du Large Ensemble, à l’instar des nuages, n’a de cesse de modifier sa trajectoire comme ses courbes, invitant tout un chacun à projeter ses songes et son imagination dans ce qui n’est autre qu’une pensée de l’impondérable. Il y a là un art de la dérobade d’une extrême précision, une écriture du plein et du silence, une solennité dramatique sur laquelle plane plus d’une fois l’ombre de Thelonious Monk (à qui le liminaire “Foreign One” rend explicitement hommage) et Gil Evans (notamment sur “Guarana” où la polyrythmie se pare de couleurs subtilement exotiques). Une odyssée musicale à l’ampleur éminemment métaphysique, dont on peut parier, ou à tout le moins espérer, qu’elle fera date.
– Le site de John Hollenbeck
– En écoute : « Guarana »