Avec le titre de leur quatorzième opus (en quasi 25 années de carrière), The Flaming Lips d’annoncer sans ambages la couleur : Embryonic sera l’album du recommencement, du retour aux fondamentaux, l’ébauche, pourquoi pas, d’un nouveau monde. Et pour renaître, il faut déjà avoir vécu, se souvenir (de Zaireeka par exemple, paru en 1997). Une mémoire que la bande à Wayne Coyne n’aura de cesse de convoquer 70 minutes durant, une mémoire (é)perdue, parcellaire, brouillée, bruyante, torturée (le pink floydien “Evil”, placé en début d’album, pointe la nostalgie du passé et l’effroi de l’oubli). Jusque-là rien de bien neuf sous le soleil psychédélique des Flaming Lips, ces doux dingues adeptes depuis toujours des cocktails hyper-référencés et des expériences sonores azimutées. Sauf que, cette fois-ci, le ton se veut nettement plus grave : toutes guitare abrasive, batterie pétaradante et basse pulsionnelle dehors, les fantasmagories habituelles virent au vinaigre, voire à la psychose pure et simple. Même un morceau d’apparence récréative comme “I Can Be A Frog” cache sous ses airs de comptine ludique une dimension border line patente, comme si la présence de la chanteuse Karen O (Yeah Yeah Yeahs), qui singe différents animaux comme une gamine espiègle, s’apparentait à une voix intérieure proprement délirante (on remarquera la rythmique en fond qui épouse étrangement celle d’un coeur). Inquiétude, étrangeté, folie et horreur mêlées inondent la plupart des titres de Embryonic, tant au niveau des textes cyniques et fatalistes de Coyne, qui a remisé au placard ses marionnettes et autres facéties granguignolesques, que du remarquable traitement sonore, tout en denses circonvolutions et méandres obscures, signé du fidèle Dave Fridmann. Loin du pastiche pop post-moderne devenu quelque peu sa marque de fabrique depuis l’acclamé The Soft Bulletin (quoique le précédent At War with the Mystics amorçait déjà un virage moins enjoué), la formation de Oklahoma se réinvente dans cette tenaille où s’imbrique leurs sempiternelles aspirations pour les bidouillages sonores bizarroïdes hérités des années 70 et les visions plutôt sombres et tranchantes qui les habitent aujourd’hui. Par bien des points (durée démesurée, morceaux à profusion, richesse des propositions sonores, mariage irrespectueux d’influences…), Embryonic relève du monstrueux. Mouvant et désordonné, colossal et effrayant, il contient en germe, à l’instar du récent Third de Portishead, les angoisses du monde qui l’a vu naître.
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– En écoute : « The Ego’s Last Stand »