Ce n’est plus Low, mais c’est du lourd. Du très lourd même. Après un premier essai décevant en 2008, le second opus de Retribution Gospel Choir, sobrement intitulé 2, signe le grand retour aux affaires d’Alan Sparhawk. Entretien.
Désormais en deuil de Low, l’homme en noir a tourné la page des lentes marches hiératiques qui l’avaient intronisé maître de la mouvance slowcore dans les années 90. Il s’entête désormais dans un rock remonté, mais porteur d’une désespérance peu commune. Une colère qui lui va comme un gant. Formé du bassiste Steve Garrington (déjà remplaçant de Matt Livingston au sein de Low) et du batteur à la frappe phénoménale Eric Pollard (Sun Kil Moon), son trio fait bloc ou, plutôt, ne fait qu’un, déployant une puissance de feu électrique canalisée autour d’une production dantesque. Du sang neuf s’est infiltré dans la mélancolie du légendaire trio de Duluth et Retribution Gospel Choir incarne désormais cette énergie décuplée. 2010 ne fait que commencer, mais on sait déjà que très peu de déflagrations de l’ampleur de “I Bird” — parmi d’autres sur cet album incisif — retentiront à nos oreilles cette année, une secousse sonique de magnitude sept, d’une durée de près de trois minutes. Seulement trois minutes, certes, mais on sait ce laps de temps largement suffisant pour tout raser sur son passage.
Nous avons rendez-vous dans les locaux de Pias. Un confrère sort de la salle d’entretien, nous confesse ne pas avoir osé le questionner sur un hypothétique avenir de Low. On pensait pouvoir faire mieux et ne pas se défiler lors du moment fatidique, mais non. Alan Sparhawk, bien qu’affable, est du genre déstabilisant, sa voix est grave, ses mots semblent comme sortir lentement d’une machine à glaçon… Le groupe est pourtant on ne peut plus détendu… (pour plus de précisions, lire en fin d’entretien leur sélection musicale « made in jamaïca »). Dans un état léthargique, les deux autres musiciens ne piperont presque mot durant l’entretien, trop occupés à regarder passer des éléphants roses.
Alan Sparhawk : Il s’est passé une bonne année et demie depuis le précédent album. Notre premier EP est sorti en mars 2008, puis nous avons donné quelques concerts qui se sont très bien déroulés. On a ensuite tourné deux fois avec des groupes plus gros (ndlr : avec Wilco et les Meat Puppets). Plus nous jouions et plus nous nous sentions confiants dans la direction que prenait le groupe. Nous avons composé pas mal lorsque nous étions en tournée. Habituellement, tout se passe chez moi, mais là, je ne sais pas, cela s’est passé ainsi. J’ai compris que pour peaufiner des chansons, il faut les jouer « live ». C’est plus facile pour essayer d’autres arrangements qui fonctionnent, même si en studio on peut ensuite avoir une meilleure idée de l’ensemble… Bref, nous avions accumulé assez de matériel pour pouvoir enregistrer un nouvel album. Les choses se sont bien passées. Le premier album fut court, c’était un bon départ. Nous avons eu cette opportunité de sortir cet album via Sub Pop, les choses se sont enchaînées au bon moment.
Pinkushion : Est-ce que les conditions d’enregistrement furent les mêmes que pour le premier album ?
Pour le premier album, l’enregistrement en studio a pris deux ou trois jours. Je ne sais plus exactement, mais cela a pris un peu plus de temps à éditer et mixer sur l’ordinateur à la maison. Mais, dans l’ensemble, ce fut assez rapide. Pour ce nouvel album, nous avons enregistré en deux fois. Nous avons d’abord essayé une approche qui ne nous satisfaisait pas. On a ensuite tenté une approche différente en pensant qu’on pouvait faire mieux. Mais je suppose qu’une fois que nous avons trouvé ce que nous voulions, enregistrer les pistes ne nous a pris que quatre ou cinq jours. Tout s’est passé très rapidement. Le studio est proche d’où nous habitons, c’est pourquoi nous travaillions très vite, quatre ou cinq heures par jour. Ensuite, le mixage a demandé davantage de temps.
Eric Pollard (batterie) : Une fois qu’on tenait l’idée directrice, les choses sont allées très vite.
Alan Sparhawk : Et puis nous n’avions pas le temps de trop nous attarder sur les détails, il y avait une tournée qui suivait. Mais je trouve que c’est très bien ainsi, le son est propre et moderne. Technologiquement, c’est parfait pour un disque enregistré d’une façon si simple.
Actuellement, la simplicité semble être le mot d’ordre du groupe ?
Oui. Je suis pour une approche simple. Je pense que si on utilise trop de sons, les choses deviennent confuses. Il faut s’en tenir à l’essentiel et prendre les bonnes décisions au bon moment. Je ne veux pas faire de concessions pour réaliser deux mois plus tard m’être relégué au second plan. Il faut se concentrer sur ce qui te semble le plus important, le terminer, puis passer à autre chose.
Les chansons semblent très écrites. Est-ce que les démos varient par rapport aux versions finales ?
Oh oui, les démos sont assez proches sur l’album. Il y a peut-être de petites variations, une intro rajoutée, une partie instrumentale plus longue… Lorsque nous avons franchi le studio, tout était déjà très clair. Expérimenter ou aller à la pêche aux idées en studio est généralement un processus frustrant. Si le projet implique plusieurs musiciens, il est plus intéressant d’essayer de travailler en groupe, jammer ensemble et enregistrer de cette manière. C’est meilleur pour l’enregistrement, je pense que cela donne un caractère plus humain.
Personnellement, je préfère cet album au précédent. Le disque est rentre-dedans, les chansons sont meilleures et le son est impressionnant.
Oui, c’est ce que nous voulions. Le premier album avait un son particulier, satisfaisant dans un premier temps. Mais par rapport à notre manière de jouer en concert, nous avions besoin d’un son plus gros et agressif, de davantage de présence.
Mais pensez-vous que cet album est meilleur que le précédent ?
Oh bien sûr, je suis d’accord ! Tout le monde pense que ce disque est bien meilleur ! Il contient en outre deux morceaux plus longs, “Electric Guitar” et “Poor Man’s Daughter”. C’est une des première fois où j’ai été capable d’écrire des chansons qui ont cet espace restituant pleinement la « section solo », la partie instrumentale. C’était quelque chose de nouveau pour moi. Ce fut assez long et éprouvant de mettre ces parties en place, de la façon dont je le souhaitais. Nous avons beaucoup, beaucoup, joué. Après le premier album, nous avons aussi donné beaucoup de concerts, je suppose que cela a influencé l’écriture, ou en tout cas mon subconscient.
Cette électricité semble aller à l’encontre du minimalisme de Drums & Guns, le dernier album de Low. En résulte-t-elle ?
(Silence de réflexion) Non, je ne pense pas. Low était aussi capable de jouer fort. The Great Destroyer est de la trempe de celui-ci, très électrique et noisy. Drums & Guns est aussi un disque agressif dans son genre mais avec une approche minimaliste et des parties simples. J’ai toujours essayé d’expérimenter à ma manière, d’aller vers cette sorte d’extrémisme. Mais ce groupe n’est pas plus agressif que Low, je suis sorti de tout ça. Ce n’est pas une réaction par rapport à mon groupe précédent. Je suis très influencé par les personnes avec qui je joue, mais je suppose que pour moi il y a toujours une sorte d’ange, une conscience, qui me pousse à aller dans mes retranchements. Et je pense que si je ne l’avais pas fait, je serais devenu fou. Ou, en tout cas, je m’ennuierais à faire de la musique. En ce moment, je sens que ma musique doit être agressive, elle doit agripper les gens, leur âme. Il y a plusieurs manières de le faire.
Vous avez signé chez Sub Pop pour ce second album, qui est aussi le label de Low.
Lorsque nous avons terminé cet album, je me suis dit, voyons si Sub Pop est intéressé. Je les aime beaucoup, mais je n’aurai pas signé sans être sûr en échange de pouvoir leur donner quelque chose de consistant. On se devait d’être bons. Jonathan Poneman, qui dirige le label, est un chic type. Il a très bon goût, j’ai beaucoup d’estime pour lui.
Le mixage de l’album a été confié à Matt Beckley, un choix assez étonnant compte tenu de ses activités précédentes (Britney Spears, Paris Hilton).
Eric Pollard : Matt a bien d’autres facettes, c’est quelqu’un de bien plus créatif que ce que les gens pensent en regardant son CV.
Alan Sparhawk : Matt est plus jeune que moi, il a l’âge d’Eric (ndlr : 29 ans), c’est quelqu’un d’enthousiasmant, je savais qu’il ferait du bon travail. Il travaille sur une multitude de projets. C’est un ingénieur de Los Angeles très habile et professionnel. Je pense qu’il avait besoin qu’on lui donne un projet où il puisse vraiment faire ce qu’il voulait. Il travaillait sur de gros disques de pop/rock, où la manière de penser est très perverse. C’est un excellent musicien, il aime la bonne musique. Je le connaissais d’abord en tant qu’ami, on se fréquentait sans évoquer le travail de chacun. Si tu as un ami, tu connais ses goûts et tu lui fais donc confiance. Il a travaillé sur de nombreux disques peu connus mais très bons.
Le son de l’album est très dense. Avez-vous usé des claviers ?
Non, le son est en quelque sorte high-tech. Pourtant, nous avons enregistré l’album de manière analogique sur cassettes, puis nous les avons transférées sur un ordinateur pour le mixage. Mais nous avons seulement utilisé des guitares et basses. J’utilise pour ma part quatre pédales d’effets sur scène. Je n’aime pas les claviers. Pour moi, la distorsion, c’est la frontière.
Tout comme Low, Retribution Gospel Choir est un trio. Avez-vous envisagé d’inclure un quatrième membre ?
Le trio nous convient. Nous nous devons de relever un défi : faire en sorte que cela fonctionne sous cette configuration. Empiler un maximum de sons ne te fait pas sonner plus gros que tu ne le crois. C’est plus une question de positionnement stratégique. Le fait d’avoir trois personnes — et spécialement ces trois personnes ici — qui interagissent, crée une dynamique intéressante.
Steve Garrington (ndlr : qui semble revenir du cosmos, en état de décompression) : Je ne pense pas qu’il y ait un manque de notes ou de sons. Nous n’arrivons déjà pas à exploiter toutes les possibilités qu’offre le trio. Je n’aimerais pas qu’un nouveau membre intègre le groupe.
L’album contient huit chansons ainsi que deux interludes instrumentaux. Au début des années 2000, la durée des albums s’est rallongée de plus en plus et exploitait au maximum les 74 minutes qu’offre un CD. Julian Casablancas, Tyondai Braxton, Richard Hawley ont récemment sorti comme vous des albums qui ne contiennent pas plus de 10 chansons…
Alan Sparhawk : Low est allé à plusieurs reprises vers les deux extrêmes, nous avons aussi enregistré des albums de 70 minutes. Il s’agit de comprendre le format, qui dépend de tellement de facteurs, de l’éthique des musiciens et de leur engagement. Reign in Blood de Slayer dure 22 minutes, c’est un des meilleurs albums de tous les temps…
Eric Pollard (soudainement enthousiasmé à l’évocation du Slayer): Cet exactement cela au sujet de ce disque : il va droit au but. C’est sombre, brutal. Et quand ce genre d’album est terminé, on a envie de le réécouter. C’est la beauté des albums courts. Sticky Fingers des Stones est aussi un disque court.
Alan Sparhawk : Rubber Soul dure 31 minutes. Si tu commences à trop discuter de ce que tu pourrais exclure, tu risques d’aboutir à un mauvais album (rires).
Lite des cinq albums favoris :
Alan Sparhawk :
Congos – Heart of The Congos
T-Rex – Electric Warrior
Joy Division – Closer
Velvet Underground – White Light/White Heat
AC/DC – Dirty Deeds Done Dirt Chip
Ce dernier est l’un de mes premiers albums achetés, je l’ai réécouté il y a quelques jours, je ne m’en lasse pas. Peut-être que je le préfère à Back in Black, simplement parce que c’est le premier que j’ai acheté
Eric Pollard :
Congos – Heart of the Congos
Pink Floyd – Animals
Don Carlos – Harvest Time
Dexter Gordon – Go!
The Gladiators – Showdown Vol III
Steve Garrington :
Donny Hattaway – Live
James Brown – “tout”
D Angelo- Voodoo
Miles Davis – Four & More
Gladiators – Bongo Red
– Retribution Gospel Choir, 2 (sub pop/pias)
sortie le 7 février
-Site officiel
– Retribution Gospel Choir sur le site de Sub Pop
– À écouter et voir « Hide it Away » :