Le duo norvégien Kings of Convenience revient en toute discrétion mais avec une parfaite maîtrise de son art pointilliste. Les pieds dans l’eau fraîche, Declaration of Dependence charme par la finesse bienveillante de morceaux sans tambour ni trompette.
En 2001, surgissaient à pas feutrés deux duo norvégiens. Des groupes agissant comme des baumes, apaisants et non gras. L‘un, étrangement nommé Röyksopp (traduction : vesse de loup) et originaire de la ville portuaire de Tromso, faisait entendre une electro-pop espiègle et dansante, planante aussi, envoûtante par sa capacité à se mouvoir en douceur. Au sein de Melody AM, album boule à facettes bulle de savon, se trouvaient deux morceaux irrésistibles, “Remind Me” et “Poor Leno”, cette dernière étant un aller simple vers la galaxie de glace. Ces deux perles étaient interprétées par Erlend Øye, l’une des voix du second combo, Kings of Convenience. On quittait la conquête de l’espace version Kinder Surprise de Röyksopp pour rejoindre KoC et son Quiet is the New Loud, déclaration d’indépendance face au chaos du monde.
Le premier morceau se nommait “Winning a Battle, Losing the War”, autant dire qu’on était pas là pour rigoler. Deux voix et deux guitares pendant près de trois minutes, alors que la dernière prenait son envol entre une batterie et un violoncelle. Puis onze autres chansons du même tonneau, à la fois dépouillées et expressives, aux beautés apprêtées mais naturelles. Et au travers de leur musique, l’impression d’entendre deux gamins qui auraient compris pas mal de chose de la vie sans la ramener pour autant. Pas luxe — le chalet est en bois — mais calme et volupté, feu dans la cheminée en option. Et malgré tout, aussi une forme de tension, d’inquiétude et une mélancolie permanente, même dans les moments les plus guillerets. Peut-être l’influence des paysages captivants de Norvège, et aussi l’ambiance d’une ville comme Bergsen, où le soir peut tomber tôt, incitant les jeunes gens à sortir, à se retrouver, pour danser, écouter de la musique ou en faire. C’est ainsi, on imagine, que se sont rencontrés Erlend et Eirik Glambek Bøe, tout deux âgés de 25 ans lors de l’enregistrement. Il était saisissant d’entendre combien ces deux-là arrivaient à communier, en compositions et plus encore dans leurs interprétations, le tout en parfaite harmonie.
Les années et la décennie sont passées. Alors que Röyksopp a tenté avec plus ou moins de réussite de durcir son jeu sur le dancefloor, Erlend et Eirik n’ont pas quitté leur tranquille atelier de dentelles. Erlend, moins timide, fut The Whitest Boy Alive, avec un album, Dreams, réalisé en 2006 et accompagné d’une tournée… avec son pote Eirik sur scène. Comme une récréation, avant de revenir aux sculptures de sable de Kings of Convenience.
Les retrouvailles se font en un frôlement avec “24-25” (comme âge idéal ?). Rien n’est apprêté ni appuyé, pourtant tout semble rangé, et finalement rien n’a changé. Les arpèges croisés tendent leur toile ; les voix en jeu de miroirs, l’une reflétant les beautés de l’autre. Jamais l’eau du lac n’a paru aussi calme. Après 2 minutes 35, un rayon solaire de guitare élevant le morceau, ou l’entraînant vers les profondeurs ; on n’en sait rien, mais c’est très beau.
Lors d’un récent entretien, Øye déclarait se sentir plus inspiré par Red House Painters que par Simon & Garfunkel ; pas seulement un choix de génération. Le premier morceau de Declaration Of Dependence porte en lui cette même attirance vers des ténèbres nimbées de lumières. Mais là où le seul Mark Kozelek semble traiter ses blessures profondes, Erlend Øye et Eirik Glambek Bøe effleurent leurs égratignures les yeux mi clos.
Ainsi “Mrs Cold” se la joue cool, légère, sur la plage, fin de journée, rythme sautillant et mocassins en daim ; de la bossa from Bergsen. Introduite par une brise, “Me in You” poursuit d’un pas élancé, envolé par les voix à l’unisson sur le refrain imparable : « But ooh, there is a little bit of me inside you, Gathering what you’ve lost ». C’est encore beau ; mais moins que “Boat Behind”, classique instantané semblant extrait d’un (bon) Woody Allen ; contrebasse trampoline, motif lumineux au violon et toujours ces lignes vocales en cerf volant.
Dans son ensemble, ce troisième album déploie brillamment la palettes de talents d’Øye & Bøe : de la soul pour garçons pâles (“Rule my World”) au bercement mélancolique (“Renegade”), du morceau en pointillés (“My Ship isn’t Pretty”) à celui en pas chassés (“Peacetime Resistance”), en passant par la ballade dans l’air brisé (“Power of not Knowing”).
Avec peut être en point d’orgue, “Riot on an Empty Street”. Cette chanson plus ancienne (et titre du second album en 2004) enfin enregistrée en version studio, porte en elle une tension sous-jacente. La révolte couve, ou peut-être a-t-elle déjà eu lieu ; peut-être n’y a t-il plus rien et que tout est à reconstruire. Pas plus passéistes que maniérés, Kings of Convenience n’enfile pas le costume du candide louveteau au coeur en mousse.
Si “Second to Numb” paraît trop gentiment exécuté et linéaire, “Scars On Land” clôt la conversation et file sur la pointe des pieds, tenant en haleine par un patient déroulé.
Sur cet album, Kings of Convenience, rois du moucheté, touchent une nouvelle fois. Recette simple — guitares cordes nylon/métal, voix jumelles, motifs musicaux ingénieux, mélodies qu’aucun obstacle ne vient freiner — et réalisation ciselée. Du bois, de l’air pur, Declaration of Dependence ne sent ni l’effort ni le musée de cire. Il s’en dégage une chaleur contrôlée, parfois une quiétude en trompe l’oeil, mais toujours le sentiment d’être dans un espace protégé. KoC pourrait être un parc naturel… ou une marque de moustiquaire : la violence de la vie plane alentours mais ne peut directement nous atteindre. Allongés sur un matelas de plume, la respiration posée, DoD dans les oreilles, nous nous endormirons peut être, mais avec l’assurance de faire de doux rêves aux couleurs fauves.
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