La grande majorité des oeuvres musicales portent en leur sein le fantasme d’une conquête : à travers elles, leurs auteurs veulent atteindre un absolu esthétique, un effet de catharsis, un succès commercial, etc. Rien de tel chez Jesse D. Vernon, l’esprit vagabond de Morning Star, orchestre composite et informel où se retrouvent toutes les bonnes volontés non bornées de Bristol et de ses environs. Depuis une douzaine d’années, son art de songwriter est d’abord celui d’un musardeur. C’est un art en mouvement qui ne mène nulle part en particulier, ne se préoccupe pas d’une quelconque destination, ne brigue aucune position — avantageuse ou pas, centrale ou pas — dans le paysage musical anglais. C’est un art qui, plutôt que de dominer son sujet, préfère l’effleurer — avec toute la sensualité que ce mot désigne. Dans le monde volontiers rationaliste et utilitariste de la pop, cette absence de finalité, ce refus d’adhérer à une obligation de résultat, relève d’une charmante anomalie. On irait même jusqu’à lui trouver un doux parfum de scandale — le scandale des grandes sagesses. Préférant dériver sans fin qu’arriver à ses fins, A Sign for the Stranger est ce disque dont chaque chanson, bien que confinée dans les limites du format pop, se joue, se vit et s’écoute comme la traversée d’une expérience. Expérience dictée par la curiosité et le goût de l’autre : les échanges de fluides et d’énergies, tout cette chimie amoureuse à l’oeuvre dans un vrai collectif, sont les premiers ferments avec lesquels Vernon fait lever sa pâte musicale. Expérience dédiée à la beauté passante et désinvolte d’une pop qui, sans jamais déroger à ses impératifs de simplicité, s’abandonne à la volupté d’être enfin délocalisée, arrachée aux notions arbitraires de genre et de territoire, libre de butiner les nectars du rock’n’roll, de l’exotica ou du jazz, de batifoler dans la campagne anglaise comme sur les fronts de mer de Rio ou sur les rives des îles Caraïbes. D’un pas tantôt alerte, tantôt indolent, les mélodies de Morning Star s’ouvrent ainsi des perspectives et des reliefs dont on ne voit jamais le bout. Grâce à elles, et à la suite d’autres Britanniques aux semelles de vent comme Kevin Ayers, Pat Fish (Jazz Butcher) ou Stuart Moxham, Jesse D. Vernon, lui, peut s’adonner à l’une des plus belles activités qui soient : être un bonhomme de chemin.
– La page MySpace
– A voir et écouter : « The Longest Way Round »