Quand un OVNI venu de nulle part, datant de deux ans, débarque sur nos platines sous la forme d’un classique de pop neurasthénique et lumineuse américaine.


A l’évocation du mot « musée » reviennent en mémoire ces visites insolites de lieux silencieux et respectés, après de longues heures d’attente pour obtenir le ticket espéré. Devant nous se tiennent au cordeau des enfilades de toiles improbables, dont les tons mélancoliques de l’automne le disputent parfois à la touche plus douce du pastel, ou celle plus colorée de l’été et de l’artifice.

Comme à chaque fois en ces lieux, règnent apaisement et recueillement, loin du brouhaha extérieur, un silence religieux que rompent de temps à autre un rire mal retenu ou les cris trop longtemps contenus des enfants, qui naturellement résonnent alors d’autant plus.
Devant la collection d’un seul et même artiste, ou le regroupement thématique d’oeuvres disparates, la sensation que flotte imperturbablement en ce lieu clos une ample atmosphère emplie d’histoires et d’Histoire, de talent et de grandeur, donne à l’ensemble de la visite son aspect unique et atemporel ; et au visiteur l’impression de quitter pour un instant le monde des tristes possibles pour élever enfin son âme vers de plus glorieuses et transcendantes destinées.
Si, dans ce musée, tout semble figé, tel le napperon jauni qui recouvre le téléviseur poussiéreux d’un salon sans vie, la succession mécanique des oeuvres et des salles, l’incessant défilé des visiteurs piétinant, qui ne s’estompe qu’avec la tombée de la nuit, dessinent l’imperceptible rythme pourtant présent de cet endroit insolite. Toutes les variations présentes dans les oeuvres proposées sont elles-aussi de minimes mouvements systématiques et inconscients, qui mettent ainsi en marche la mécanique de l’exposition.

Cette subjective description peut se rapporter au disque en question. D’abord, cette diapositive surexposée, support désuet et pourtant souvenir collectif, icône éclairée de deux chandelles qui illumine le fond marron de la jaquette pour accueillir l’auditeur. En début d’album, un morceau en fade-in laisse d’ailleurs deviner que, bien entendu, tout est déjà mis en place et bien présent avant cette arrivée impromptue, cette sensation de pousser une porte sur “Like Home”, de rentrer dans un endroit connu et cosy, qui rend l’âme confortable et le coeur confiant, handclaps en catimini et apaisant accordéon final.
L’album est un recueil de chansons évidentes, portées par une voix fragile et cependant sûre d’elle, qui narre ses histoires sur des arpèges de guitare, des cordes discrètes ou les notes d’un clavier. Lueur d’une première référence exposée, celle d’un Grandaddy champêtre et délaissant les rythmes abrupts, enfin adulte, ou le retour tant espéré d’un Flotation Toy Warning rasséréné.
Si les tableaux défilent avec aisance, amplitude et d’un pas serein et assuré, dans une uniformité sans faille, chaque petit détail dans l’arrangement justifie la présence de chacune des pièces mises à nue.
Nick Drake hante “The Things I Know” qu’un Beatles esseulé aurait légué au poète, tandis qu’un métallophone soutient les quatre notes du refrain ou qu’une flûte contre-chante. Exemple dans un précieux catalogue dont il faudrait détailler les perceptibles subtilités d’un tel savoir-faire artisan, dont même la voix, qui paraît uniforme, n’est qu’une approche différente et sensorielle dans chacune des compositions.

La chance d’avoir comme commissaire une personne savante et passionnée confère à l’objet sa force et sa singularité : chaque oeuvre offerte à l’ouïe contient cette part inconsciente d’un passé culturel commun — l’album s’appelle Hold This Ghost ([Re]tenez Ce Fantôme) — et développe en même temps un univers propre et particulier.
Rien ne semble laissé au hasard au cours de la visite, quand les premières mesures vraiment rythmées n’interviennent pour la première fois qu’à la deuxième moitié du huitième morceau, trompette en avant et batterie qui roule. “Sleeping In Our Clothes” — Dormir tout habillé ! –, sous ses faux-airs de Belle & Sebastian, ouvre une brèche presque malsaine, testament crasse dans l’univers propret du disque, afin de casser la routine et mieux rappeler les ruptures inhérentes à la Nature. Avant de diriger l’auditeur vers la sortie, Our Changing Skins, en pleine mue inquiétante et sans guitare.

Un disque en forme de musée en marche, non pas château ambulant cahin-caha, mais riche et surprenante galerie qui, d’un univers clos mais rassurant, mène celui qui prend le temps de s’y arrêter vers une transformation en profondeur de la perception bien définie qu’il croyait jusque-là maîtriser de son bagage culturel.

Un album statique et en mouvement, d’ailleurs officiellement sorti il y a deux ans aux États-Unis et réapparaissant en ces mois hivernaux dans nos contrées. Un classique qui devrait à son tour trouver sa place dans les discothèques respectables, elles-mêmes petits musées évolutifs.

– Page Myspace

– En écoute et à voir « Our Changing Skin » :