Paul RamoneDans ce Sad and Beautiful World, Sparklehorse n’aura légué que quatre albums, quatre étoiles dont trois classiques instantanés. A ceux en quête de réconfort, on dira qu’il existe encore quelques beaux restes méconnus à se mettre sous la dent.
Sortis respectivement entre les deux premiers albums, Chords I’ve Known (1996) et Distorded Ghost EP (2000) réservent malgré leur format court un grand lot de merveilles, et pas seulement à même de contenter les collectionneurs compulsifs. Les deux uniques EP de Sparklehorse constituent des pièces non négligeables — voire même essentielles — d’un puzzle que Mark Linkous se plaisait à disséminer à l’intention de ses fans. Derrière ce son de planche en bois qui grince et ces bruits de minuteur d’oeufs, les disques de Sparklehorse n’étaient pas lo-fi, contrairement à ce que beaucoup pensent. Dans ce genre d’ouvrage, on peut difficilement faire plus abouti, avec ses morceaux à tiroirs, véritables prouesses miniatures en studio, ce dernier comptant comme un instrument à part entière. Les fascinantes fritures radios, échappées de sa grange studio et trafiquées avec son vieux compère Scott Minor, révèlent, une fois captées sur la bonne fréquence, d’étonnantes surprises, de bouleversantes mélodies cachées, notamment sur Good Morning Spider.
Délivré un an après Viviedixiesubmarinetransmissionplot, le EP cinq titres Chords I’ve Known, est constitué de morceaux inédits — à l’exception de “Heart of Darkness” présenté ici dans une version « wiggly ». Vendu d’abord en tournée, puis furtivement ajouté sur une réédition du premier album, l’objet est, depuis, devenu rare et se marchande jusqu’à 200 dollars sur Amazon. Tout d’abord, “Heart of Darkness” diffère de la version laid back somnambule de l’album. Légèrement allongée de 10 secondes, la séquence au lapsteel disparaît pour un folk un brin nerveux, augmentée d’arpèges abusant de cet effet Flanger cryptique dont Mark Linkous raffolait tant sur ses premiers albums. Le titre atteste en outre que le songwriter n’était pas du genre à se contenter d’une première prise brute, mais tâtonnait, décomposait ses pistes et n’hésitait pas à remettre totalement en question ses instrumentations. “Almost Lost My Mind” envoie ensuite valdinguer un rock déglingué en 1’41 chrono. Ce brûlot instinctif, relégué ici en face B, contenterait bien d’autres groupes sur album. Mais la vraie pépite du disque est “Dead Opera Star”, autre déclaration binaire vibrante où Linkous, en état de grâce sur le refrain, s’escorte de sales guitares ferrées façon Crazy Horse. Si l’influence du Loner est peut-être trop évidente, ce morceau de rock pastoral est somptueux. La charge dure encore moins de deux minutes mais va viscéralement à l’essentiel. Rien à ajouter. Suit la surprise de l’EP, un étonnant vagabondage instrumental, “Midget in a Junkyard”, intermède folko-bastringue et rare occasion d’entendre Linkous laisser transparaître des résonances européennes dans sa musique, ou disons balkaniques. Enfin, le disque se clôt sur un exutoire au piano, “The Hatchet Song”, plainte d’un coeur brisé épris d’envies de meurtre. Il faudra attendre It’s a Wonderful Life (2001) pour entendre l’homme exposer ainsi sa thérapie devant des touches blanches.
La parution du Distorded Ghost EP quelques mois avant It’s A Wonderful Life (2001), troisième album de Sparklehorse, fit office de transition de luxe. Linkous signait là ses derniers grands chantiers de producteur, avant de collaborer étroitement avec le grand Dave Fridmann (Mercury Rev, Flaming Lips, MGMT). Le son si chaud du vinyle craquelé et du foin ne sera ensuite plus jamais pareil. Mais c’est une autre histoire… D’emblée, la version nettoyée de “Happy Man” frappe fort comme un marteau sur l’enclume. Cette « Memphis Version » a été enregistrée au studio Easley de… Memphis, cantine notamment des premiers albums de Pavement. Ré-enregistrée, elle nous donne l’occasion d’enfin entendre distinctement ce qui demeure comme l’une des performances rock les plus enlevées de Sparklehorse, sorte de retour aux sources punk. Le morceau, figurant initialement sur Good Morning Spider, avait alors été délibérément sabordé, voilé par un filet de fréquences radio, rendant le titre difficilement audible. Linkous, jugeant le morceau trop rock, voulait ainsi éviter que la maison de disque ne le choisisse comme single. Il cédera finalement sur cet EP. Dix ans plus tard, l’écoute de son refrain sonne un rappel tragique qui nous fige : « All I Want Is To Be a Happy Man ». Parmi les trois compositions inédites restantes, les tempérées “Waiting For Nothing” et “Happy Place” s’inscrivent dans la veine intimiste du deuxième album. Du propre aveu de son géniteur, “Waiting For Nothing” a toujours été sa chanson préférée, l’histoire du dernier jour de la vie d’une tortue… Se démarque enfin une reprise génialement paranoïaque de “My Yoke Is Heavy”, un morceau emprunté à son idole Daniel Johnston. La partie de piano qu’on entend est d’ailleurs samplée à partir de la version d’origine du fou chantant. Linkous prend un malin plaisir à y coller un violent accord de guitare électrique à chaque fin de couplet. Sa voix, chuchotée, semble à l’étroit, comme enfermée dans une boite en carton. Enfin, s’ajoutent en guise de bonus deux extraits live de bonne facture, tirés de sessions à la BBC : “Gazoline Horseys”, meilleure que la version studio, et “Happy Pig”, intéressante.
En marge de ces mini-albums, on ne manquera pas de rappeler à la mémoire des plus curieux “London”, premier single historique de Sparklehorse, désormais pièce la plus convoitée de la discographie, et donc quasi introuvable, une complainte folk immense où Linkous chante à l’agonie. Plus connu, “Wish You Were Here”, la reprise au piano de Pink Floyd pour la compilation Come Again, avec la participation de Thom Yorke aux choeurs. Et puis sur le double album hommage à Daniel Johnston, Discovered Version, une reprise magistrale de “Go” avec encore une fois des hôtes de luxe : The Flaming Lips. Oui. Rien que ça.
– Le site officiel de Sparklehorse
– A voir Sparklehorse « Happy Man (Memphis Version) » :