Cela fait déjà quelques années que l’on sent chez Jean-Sébastien Nouveau, non pas un simple talent, mais un vrai volcan en formation. Il se pourrait que les choses se précipitent pour lui en septembre, nous pourrons alors dire : on savait ! Entretien avec un artiste passionné et volubile, aussi timide qu’attachant, et pas aussi tendre qu’il en a l’air.
La rencontre s’est faite quelques mois avant cet entretien, mais quelques années après les premiers commentaires envoyés par blogs interposés. Jean-Sébastien Nouveau était alors, avec son frère, aux commandes d’Immune, un groupe à la musique mystérieuse et impalpable, très au-dessus des productions artisanales qui polluaient déjà la toile. De fil en aiguille, une amitié épistolaire se lia, alors même que nous suivions l’évolution de celui que l’on prit l’habitude d’appeler JS : on découvrait, médusé, une foule de projets et autant de musiques différentes tantôt sombres tantôt dansantes. Les marches du Panthéon et un troquet du 5ème arrondissement parisien achevèrent, par un froid samedi de décembre, de sceller ce qu’il convient d’appeler une amitié et permit de se mettre d’accord sur les conditions d’un entretien que nous avions envisagé depuis de longues années. Le résultat, le voilà, bien plus prolifique que ce que nous espérions, où il est question de Brel, Minus Story, Joe Dassin et Haruki Murakami. Une discussion avec un authentique ange harcelé par ses démons.
Pinkushion : Immune, Recorded Home, Colo Colo, Les Marquises. Autant de projets divers et variés, qui touchent à des univers parfois proches, parfois différents, nous y reviendrons. Quel est, selon toi, le moteur, le point d’ancrage de l’univers de Jean-Sébastien Nouveau ?
JS Nouveau : Il y a un point d’ancrage entre tous ces projets c’est certain. Au départ, il y a toujours un désir de faire une musique artisanale, à taille humaine, et jamais aseptisée (ce qui serait le pire pour moi). J’aime quand on voit toujours un peu les coutures, que l’on ressent que l’on a affaire à quelque chose qui a été façonné avec les mains, que l’on a encore quelque chose à voir avec une matière, quelque chose de palpable. Ca pourrait être ça le point commun entre tous ces projets. Mais si j’ai autant de projets, c’est bien parce que justement, je ne veux pas partir toujours du même point. J’espère que chacun de ces groupes propose quelque chose de particulier, un univers singulier. Après, c’est vrai que quand je fais de nouveaux morceaux j’ai parfois tendance à vouloir créer un autre groupe, un autre projet à chaque fois, car j’aime reprendre toujours un peu à zéro, ça me parait plus sain quelque part. Par exemple je viens d’achever une cover d’un morceau de Sparklehorse (nous venions juste d’apprendre la disparition de Mark Linkous, ndlr), et je l’ai mise sur le MySpace de Recorded Home car je l’ai fait à l’arrache chez moi, et que ça correspond à l’esprit Recorded Home. Puis, à la vue du résultat, je me dis que pourquoi finalement ça serait plus du Recorded Home que du Colo Colo dans le fond. Parce que j’ai fait le morceau seul et pas avec Martin ? Mais à l’écoute du résultat c’est discutable. En fait, avec toute cette petite cuisine, on fait bien ce que l’on veut. Si, avec Martin, on est ok, ça roule. Finalement nous sommes bien libres de faire ce qui nous chante !
Comment s’articulent tous ces projets dans ton esprit ? Es-tu quelqu’un de cartésien qui se dit « aujourd’hui je fais du Recorded Home et demain du Colo Colo » ou bien au contraire composes-tu au fil de l’eau pour répartir le résultat de tes recherches à l’enseigne qui s’y prête le plus ?
Les choses s’articulent assez simplement pour l’instant, et tout est finalement assez limpide. Recorded Home est un peu mon petit laboratoire personnel. J’enregistre brut de décoffrage chez moi en jouant la carte de la fragilité, de l’imperfection. Privilégier une humeur, une ambiance, une petite idée. C’est un projet intimiste où je fais tout de A à Z, et où je me permets de mal jouer, même chanter mal parfois. L’idée serait un peu de faire des croquis qui nourriront par la suite mes autres projets plus lourds, plus conséquents. Après avoir achevé un album lourd dans sa conception et sa réalisation, ça représente toujours une bulle d’oxygène pour moi de faire de la musique sans réfléchir, en se laissant aller, en mettant son libre arbitre de côté. Pour Recorded Home, les morceaux sont vite composés et exécutés. Ce sont un peu comme des instantanés d’émotions.
En ce qui concerne Les Marquises, c’est autre chose. Les choses sont beaucoup moins évidentes et ça me demande un temps fou car je ne laisse finalement pas trop de place au hasard. Je tiens les rênes du début à la fin, et si je les lâche, c’est vraiment délibéré, et pour un moment précis. Alors qu’avec Recorded Home j’ai l’impression de griffonner sur de petits bouts de papier, avec Les Marquises j’établis des plans, pense à une architecture, à la portée du projet. Pour Lost Lost Lost il y avait avant toute chose le désir de créer une musique intense, forte, et qui ne soit pas sans effet. Le projet des Marquises est né un peu en réaction aux albums d’Immune. J’en avais un peu marre de faire une musique trop esthétique, contemplative, passive. J’avais le désir de quelque chose de plus imposant, qui s’impose plus à l’auditeur, voire quelque chose qui remuerait. Quelque chose dont l’existence est plus affirmée. Aussi, Immune était le projet de Martin et moi. Nous étions tous les deux compositeurs et partagions nos univers. Pour Lost Lost Lost, le premier disque des Marquises, à la base les démos je les ai faites seul, mais pour l’enregistrement et les arrangements, Jonathan s’est joint à moi. Pour l’instant, Les Marquises est vraiment, à mes yeux, mon projet le plus abouti, et celui dont je suis le plus fier. J’espère que la sortie du disque se passera bien, que j’arriverai à en vendre un peu… Mais cet album a un son particulier, offre un univers personnel et tranché. Bref, j’en suis vraiment fier !
Pour ce qui est de Colo Colo c’est un peu particulier puisque à la base ce sont des morceaux de commande en quelque sorte. Avec Martin, nous travaillons avec la boite d’illustration sonore Justement Music et, au départ, celle-ci nous a demandé de faire des morceaux genre pop-rock-electro dans la veine de MGMT, Kills… Bref, en ayant en tête des types de musiques bien particuliers. Nous nous y sommes collés donc, et les morceaux de Colo Colo sont nés ainsi. En réalité, ça se révèle très agréable à faire. Pour ces morceaux, c’est Martin le principal compositeur. A la base, les morceaux sont de lui, et nous arrangeons ensemble. Lui s’occupe de ce qui est mélodique et moi des rythmes, de l’enregistrement, et plus de la production. Il y a de bons retours avec Colo Colo. Nous sommes d’ailleurs sélectionnés pour la demi-finale CQFD des Inrocks. Perso, je trouve Colo Colo divertissant, mais c’est un projet qui tient plus à coeur à Martin. Mais c’est agréable de se dire que le but est simplement faire des morceaux qui fassent tubesques !
En fait tout ceci ressemble à la liberté recherchée par n’importe quel artiste, faire ce qu’il veut comme il l’entend, et c’est déjà une réussite en soi. Mais en simple auditeur, on ne peut s’empêcher de penser que tu écris dans un esprit groupe. A part Recorded Home effectivement, ton écriture, même dans ses moments sombres, est quand même ample, généreuse, tout en étant très manufacturée, façonnée. N’est-ce pas pour toi un moyen de t’ouvrir au monde, une sorte d’avatar ? Ou en quelque sorte ta façon à toi de répondre à la maxime de Noir Désir, On est au monde, même si le groupe bordelais ne fait a priori pas partie de ton univers ?
Il y a différentes phases, mouvements dans l’élaboration d’un morceau comme je les confectionne. Le premier mouvement est très spontané et vient vraiment de moi, de quelque chose d’instinctif qui me dépasse même. Une pulsion. Et puis une fois quelques jalons posés — quelques sons, une mélodie, un rythme — il faut mettre en forme, rendre la chose acceptable pour les autres. Éclaircir, élaborer le propos. Je pense que la générosité vient à ce moment là, finalement, car c’est à ce moment que l’on met l’intention. Avec Recorded Home quelque part je ne vais pas jusque là. C’est à prendre ou à laisser, mais c’est comme ça. D’ailleurs la musique de Recorded Home est entièrement téléchargeable gratuitement sur MySpace pour cette raison. Alors que si j’adresse vraiment ma musique, je la polis avant, la rend belle pour l’offrir. Mais pour moi il y a dans les deux sens une limite à ne pas franchir. La pire chose serait de rendre ma musique vulgaire en la servant trop directement, en enlevant ses coutures, en faisant croire qu’elle sort de nulle part. L’idée d’identité dans la musique est pour moi essentielle. Je réécoutais aujourd’hui le premier disque de Bracken (projet solo de Chris Adams de Hood), et je trouve la production vraiment écoeurante. Cette masse sonore me donne l’impression d’être devant un bloc inhumain. On ne discerne plus rien. Tout est boosté au maximum. Je préférais quand Hood s’enregistrait salement, conservait les pieds dans la terre. C’est un peu absurde de dire ça, mais faire de la musique à taille humaine est une notion qui me parle beaucoup. A mon sens ce que l’on crée doit toujours rester très proche de comment l’on vit. En vivant dans un appartement de 40m2, je trouverais absolument démesuré et insensé d’aller en studio enregistrer avec un orchestre symphonique. J’enregistre tout chez moi, dans des lieux habités où l’on vit, et pour moi tout cela sonne très juste.
Talk Talk et Hood sont deux de tes références principales. On a récemment découvert ta passion pour Minus Story, notamment en invitant leur leader, Jordan Geiger, à poser sa voix sur Lost Lost Lost. Parle-nous de ton rapport à ces trois groupes. As-tu d’autres influences moins évidentes ?
Hood fut ma référence ultime pendant longtemps. Je me souviens parfaitement comment j’ai découvert leur musique. J’étais en voiture et écoutais Radio Campus Dijon, le morceau “Your ambiant voice”. J’ai d’abord été frappé par leur son, qui me paraissait très métallique, sans basse, très acide, sans corps. Et puis il y avait ces quelques arpèges de guitare acoustique, ces arrangements très fragiles de clarinette, de violon, à la limite faux, dissonants, et ce son très étrange mixé très fort qui venait parfois percer la musique. Bref, ça m’a vraiment marqué, et ensuite je me suis procuré l’album Rustic Houses Forlorn Valleys. Là encore, je me souviens de la première fois que j’ai écouté le disque. J’étais avec mon frère et je trouvais cette musique très étrange et fragile. Assez vite, Hood a représenté le groupe dont j’aurais aimé faire la musique. Toute cette musique me parlait terriblement, et c’était tout simplement exactement ça que j’avais en moi et que j’aurais aimé sortir. Le fantôme de Hood a donc pendant longtemps plané sur moi !
J’ai découvert Talk Talk par l’album solo de Mark Hollis en fait. Cette fois, j’étais chez Gibert à Dijon, et le disque passait en fond. La musique m’est apparue sans corps, très fragile, ça m’a touché et j’ai acheté le disque. Talk Talk et Mark Hollis, c’est quand même beaucoup plus esthétique que Hood pour moi. Peut-être trop même. Mais dans le registre et entre les deux, quelque part il y a Robert Wyatt qui pourrait faire le lien. Il a le raffinement, le pointillisme, mais il reste un artisan, et ça ça me séduit beaucoup. Robert Wyatt est pour moi l’artiste-musicien idéal. Il a son monde, son univers qu’il cultive à l’abri du monde, et il a en même temps une vraie générosité qui lui permet de livrer son univers sous un éclairage naturel. Tout ça parait clair et limpide même si les morceaux peuvent parfois être vraiment tordus.
Quant à Minus Story, je n’ai pas du tout eu le coup de foudre, au départ. J’avais repéré ce disque pour l’offrir à mon frère pour Noël. Ca me paraissait pas mal, mais pas vraiment le genre de musique sur lequel j’accroche, un peu quelconque en fait. Et puis, finalement, je me suis penché dessus à nouveau et là j’ai bloqué pendant un bon bout de temps. Pendant plusieurs années, j’écoutais No Rest For Ghosts et leur précédent disque au moins une fois par jour ou par semaine avec le même plaisir. Pour moi il y a une vraie énigme, car je n’arrive pas à savoir pourquoi j’aime autant leur musique. Autant pour Hood, Mark Hollis je peux m’expliquer, mais là je ne sais pas vraiment. Finalement, leur formule est rock et assez basique, mais il y a quelque chose c’est clair, et je n’arrive pas le à décrire… En tout cas, ça a été une énorme bonne surprise lorsque j’ai proposé à Jordan Geiger (ndlr : leader de Minus Story) de chanter dans mon projet Les Marquises, et qu’il a accepté directement. Après pour le prochain disque j’aimerais que l’on collabore plus. Pour Lost Lost Lost j’ai écrit les paroles, trouvé les lignes de chant, mais pour le prochain, nous en avons parlé, il devrait s’impliquer plus, voire enregistrer des instruments.
Pour finir sur ce que j’écoute, en ce moment je me passe en boucle le dernier album de Beach House. C’est vraiment très beau, malgré un premier abord un peu pastel fadasse. Plus j’écoute leurs morceaux, plus ils me paraissent mystiques et importants.
Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Jordan Geiger ? Vous avez un point commun, le goût pour les grands écarts : as-tu écouté son projet solo Hospital Ships ?
Pour Les Marquises tout s’est déroulé le plus simplement du monde. Je lui envoyais les morceaux par Internet avec les paroles, la ligne de chant, puis il me renvoyait un fichier, et je mixais sa prise chez moi en ajoutant les effets pour que sa voix s’insère le mieux dans la musique. Jordan a été efficace et tout s’est bien déroulé, mais
je pense que pour la suite ça pourrait être chouette qu’il ait plus de place. Nous nous sommes rencontrés une fois en « vrai » très succinctement avant que notre collaboration débute. J’avais été le voir avec Jonathan en concert à Lyon lorsqu’il tournait avec Shearwater, groupe dans lequel il officie à la trompette et aux claviers. On a discuté un peu dans les loges, et peu de temps après j’ai reçu ses premiers essais de chant. Je n’ai en revanche pas encore pu vraiment écouter son projet Hospital Ships, à part deux morceaux sur son MySpace, et pour être honnête, à la première écoute ça ne m’a pas plus interpellé que ça. Du coup je n’ai plus pensé à commander le disque sur Internet, mais je voulais quand même me pencher plus dessus et me le procurer.
Sinon, pour ce qui est des grands écarts, j’aimerais encore qu’ils soient plus grands parfois. De plus en plus, j’essaie de me fier à mon intuition, car je suis persuadé que c’est le meilleur moyen de créer, d’être au plus juste. Si j’ai une idée dans la journée, désormais je vais essayer de la réaliser le plus rapidement possible, alors qu’auparavant j’attendais beaucoup avant d’agir. Je jaugeais beaucoup plus les choses. J’ai eu hier une idée de documentaire, et bien je pense proposer à un ami de le réaliser avec moi. Je vais le faire aujourd’hui, car après on pense à autre chose, et ça passe. Le désir s’efface. Et le désir ça s’alimente ! Mais de plus en plus je me dis qu’il est important de prendre du plaisir en créant. C’est assez nouveau pour moi, car avant finalement seul comptait le résultat. Maintenant, je me dis que le résultat ne peut être qu’un reflet d’une idée, et puis ça peut être très bien comme ça. Bien sûr je dis ça, mais je commence à me coller au prochain album des Marquises, et ça ne se passe pas comme ça ! Ce goût des grands écarts, je trouve assez fascinant la manière dont Pessoa gérait la chose. Il utilisait autant de pseudos qu’il avait de styles, et je trouve ça finalement assez juste. Je pense que ça lui permettait d’aller à fond dans une veine sans se soucier de conserver une certaine cohérence avec ce qu’il écrivait par ailleurs. Ca offre une vraie liberté, et surtout la possibilité d’aller au fond des choses, d’aller dans des extrêmes.
Tu évoques Pessoa. Quelle place prend la littérature chez toi ? Quels sont tes auteurs favoris ?
Cela ne fait pas très longtemps que je lis régulièrement, et, du coup, je n’ai pas une très grande culture littéraire. C’est assez récent même que je lise, tout court. D’ailleurs je m’y suis mis notamment à la sortie de « Sound Inside », où l’on m’avait conseillé de lire Haruki Murakami en me disant que l’univers de la musique d’Immune évoquait La ballade de l’impossible et Les chroniques de l’oiseau à ressort. À l’époque je ne lisais pas beaucoup, mais cela m’avait suffisamment intrigué pour me plonger dans ces livres. Et je les ai vraiment aimés. Depuis, j’ai pris goût à la lecture, qui m’était auparavant étrangère.
Je suis aussi un grand fan de Jim Harrison. J’ai découvert sa littérature avec Nord-Michigan et Dalva, et j’adore baigner dans son univers. J’aime la limpidité, la simplicité de son écriture. Et par-dessus tout j’admire la manière qu’il a de faire passer le « souffle de la vie » dans ses livres. Il fait bien sentir comment s’écoule une vie, et comment finalement tout se déroule simplement malgré les aléas de la vie, les manquements, les ratages, la maladie… Tant que l’on est en vie, que nous vivons, une histoire s’écrit, mais lorsqu’elle s’arrête, tout autour d’autres vies continuent, d’autres histoires s’écrivent, et puis voilà tout. Reste le plaisir du partage, de se sentir en vie et connecté aux autres, à la nature, son environnement. Et l’essence est bien là, il me semble. En tout cas ça me parle beaucoup et me rassure. Moi qui ai peur de la mort, que les choses s’arrêtent, disparaissent subitement, ça me réconforte finalement de lire quelque chose qui me souffle à l’oreille que tout cela est la vie, et qu’il faut bien se faire à l’idée que oui mes parents mourront, mes amis… et puis moi bien sûr !
Justement, Recorded Home est né à l’issue d’un drame personnel et aujourd’hui tu en parles comme d’une récréation. Comment s’est faite cette transition, d’autant plus surprenante que la musique que tu y joues est quand même encore empreinte de tristesse ?
Le projet Recorded Home est né en premier lieu en réaction au décès de ma grand-mère, d’un besoin de me sentir en vie. Mais finalement, quand je fais de la musique, ça vient toujours un peu de là aussi. Un besoin plus ou moins vital, urgent, de me sentir vivant, dans le monde, et de donner simplement un sens à mon existence. Si je ne suis pas particulièrement occupé, j’ai le besoin de sentir que j’ai créé un petit quelque chose chaque jour. Ou en tout cas sinon d’avoir une idée de projet : une idée de morceau, d’arrangement, de poésie, de dessin… Mais je multiplie de plus en plus mes activités, et ai désormais toujours quelque chose en cours, et ça me plait de sentir que les choses ne s’arrêtent pas, qu’il y a toujours quelque chose sur le feu. Depuis le début d’année, les choses avancent vite et dans tous les sens : je prépare la sortie du disque des Marquises pour septembre, je viens de mettre le EP A Sea Of Flakes de Recorded Home en ligne, j’ai le projet d’un clip pour Colo Colo, et je suis entrain de préparer avec un ami la sortie en édition limitée d’une oeuvre poétique Des Animaux Et Des Obus que je viens d’achever et pour laquelle nous allons désormais travailler avec des dessinateurs. Bref ! Et je viens de me mettre au dessin. Bon en tant qu’amateur, pour le plaisir, mais j’aime vraiment cette activité. Et puis j’adorais dessiner enfant, donc j’ai l’impression de renouer avec une partie de moi-même délaissée.
Précisément, parlons de l’enfance. Il y a pas mal de l’enfance, je trouve, dans tes projets initiaux. On sent une mélancolie toute enfantine transpirer dans Immune ou Recorded Home. Ce qui ne veut pas dire naïve, bien au contraire, tellement je trouve qu’il n’y a rien de plus frappant, d’entier et même de dur parfois, que la mélancolie ou la tristesse d’un enfant. Il n’y a aucune demi-mesure, c’est sans nuance, et on sent ce volcan ramper sous les nappes de musique de ces deux projets. Est-ce lié au fait que tu travailles avec ton frère ? Quelle part a, ou a eu, ton enfance dans ton processus d’écriture ?
J’ai toujours trouvé qu’il y avait une continuité évidente entre jouer aux Lego et faire de la musique. Concrètement ça se passe pareil : je m’isole dans une pièce avec tous mes jouets/mes instruments et puis j’essaie de construire quelque chose qui me plait. Avec l’idée que je ne sais pas tellement ce que je vais faire, mais que ça va se dessiner devant moi en le faisant. Juste au lieu de me dire « tiens, je vais faire un super vaisseau spatial avec plein de gadgets », je me dis « tiens, je vais essayer de faire un morceau intense qui soulève le coeur ». Il n’y a eu qu’un glissement entre ces deux activités. Et puis finalement comme le souligne souvent un de mes cousins, on dit « jouer de la musique ». Sinon, je ne perçois pas tellement de côté enfantin dans ma musique. Après peut être, mais je suis certainement mal placé pour m’en rendre compte. Mais pour créer il faut avoir conservé un lien avec l’enfance je pense tout de même. Enfant, j’étais fasciné par le matériel de musique qui traînait dans la chambre dans laquelle mon père faisait de la musique. Il y avait des claviers, un 4-pistes… Tout ça m’attirait beaucoup. Et puis je me souviens d’un ami de mon père qui est resté en vacances chez nous pendant plusieurs mois. Il avait installé sa batterie dans une pièce, et cet instrument immense me fascinait vraiment. Du coup j’ai eu une petite batterie en plastique cette année là ! Si je fais de la musique ça vient de là en partie, à n’en pas douter. Mais mon frère Julien avec qui je joue en concert pour Recorded Home, son truc c’est plus l’écriture. Il aime la musique, en joue aussi un peu, mais vraiment lui c’est les livres qui le façonnent.
Ta musique semble très cinématographique. Le cinéma joue-t-il un rôle chez toi ?
J’ai fait des études de cinéma à la fac jusqu’en DEA, et aujourd’hui je travaille à temps partiel dans un cinéma d’Art et essai en tant que caissier. Donc quelque part le cinéma d’une manière ou d’une autre a toujours traîné pas très loin de moi. Mais je ne crée pas de lien entre ma musique et le cinéma. Je dirais même en réalité que je n’aime pas trop que l’on me dise que ma musique est cinématographique… Je ne vois pas du tout ma musique de cet oeil là, et ne compose pas en ayant un scénario ou des images en tête. J’aime à penser au contraire, même, qu’elle reste de la musique purement et simplement et n’évoque rien d’autre. Je sens en disant ça que ce n’est pas tout à fait vrai, mais je fais un blocage sur l’idée que ma musique serait cinématographique… Cela ne me plait guère parce que finalement ça voudrait dire quelque part que la musique ne suffit pas et qu’il faudrait convoquer des images pour la combler ? Et puis aussi, ça me donne la sale impression que ma musique serait une musique uniquement d’atmosphère, d’ambiance, alors que pour moi il s’y passe des choses tout de même ! Mais bon, je comprends que l’on y voit un côté cinématographique bien sûr.
Qu’emmènes-tu dans la voiture quand tu pars en vacances ? Cèdes-tu facilement à un bon vieux Joe Dassin ou un Delpech ?
C’est vraiment quelque chose que j’adore, écouter de la musique en voiture. Rouler seul sur une route de campagne avec la musique à fond une fin d’après midi d’été, c’est vraiment une situation idéale ! Ce genre de situation me permet souvent de vivre des moments de bonheur complet et de plénitude. Bon, je n’ai pas de voiture, donc ça n’arrive pas tous les quatre matins. Mais je vais bientôt partir en vacances avec mon amie dans le sud et je suis déjà en train de réfléchir à quelle musique on écoutera pour voir défiler les paysages ensemble. Je pense emmener Beach House, Richard Hawley, et peut-être le dernier Bonnie ‘Prince’ Billy. Mais un de mes plus grands plaisir en vacances est aussi d’écouter Nostalgie, RFM. Je m’y connais pas mal en Variété française, et j’adore ça ! De grosses daubes variétoches même, mais je ne veux pas me priver. Je ne vais pas renier mon plaisir. Il y a plein de trucs qui me font vraiment vibrer, sur lesquels j’aime chanter et qui me mettent en transe : “L’équipe à Jojo” de Joe Dassin, “La Dolce Vita” de Christophe, “Mon Fils, Ma Bataille” de Daniel Balavoine, “C’est Ma Terre” de Christophe Maé, “Jamming” de Bob Marley, et certains trucs de Calogero, Florent Pagny, Cabrel… Bref c’est un peu n’importe quoi ! Mais l’autre jour en voiture à Paris je suis tombé sur une radio, Chante France, et ça m’a rendu dingue, complètement euphorique. Passer de “Je Te Promets” de Johnny Halliday, à “Petite Marie” de Cabrel, tout ça pour finir par “C’est Bon Pour Le Moral” de La Compagnie Créole, c’est du pur bonheur ! Enfin, bref, il y a un moment pour tout, et certainement une musique pour tout.
Autant d’artistes qui doivent figurer pour la première (et dernière) fois sur ce webzine. Penses-tu justement qu’il est parfois nécessaire de renouer avec le mainstream le plus crasse ou la variété la plus populaire pour mieux se replonger dans des musiques plus exigeantes, cérébrales ? Ou crois-tu au contraire que ce n’est pas aussi tranché que cela et que les deux univers sont compatibles, voire fongibles ? On dit d’ailleurs que c’est très français de séparer variété de tout le reste, et on constate que dans les pays anglo-saxons, et surtout aux USA, les artistes les plus pointus n’ont aucun mal à travailler avec le sommet des artistes bling-bling. Qu’en penses-tu ?
Honnêtement, je me dis de plus en plus qu’il faut arrêter de tout séparer. La musique « bien », de la musique « pourrie ». Je n’en suis pas totalement là, mais bon ! Si un morceau me touche, il me touche et voilà tout, c’est le plus important. Après que ça soit de la merde ou pas… Bon c’est sûr, assumer mon goût pour le morceau “Savoir aimer” de Florent Pagny, n’est pas un problème pour moi dans mon coin, mais face aux autres c’est moins évident… Mais pourquoi pas, j’ai envie de dire. Mieux vaut ne pas se voiler la face, mais aussi connaître les limites de ce que l’on aime. Avant j’étais très puriste en musique. La variété était de la merde et puis voilà, mais on change !
Parlons de Jacques Brel, quand même. J’ai récemment redécouvert la chanson « Orly », que j’avais dû écouter trop « jeune » pour apprécier vraiment je pense, quel monument ! Quelle est ta relation à Brel ? Pourquoi Les Marquises ?
Je ne me suis intéressé à Jacques Brel qu’assez récemment en fait. Mon père écoutait parfois des compilations à la maison, mais j’avais beaucoup de mal avec cette musique, cette voix… Genre « Les bonbons », mon Dieu quelle horreur ! J’avais un peu un sentiment de répulsion quand ses morceaux passaient. Limite ça me dégoutait un peu. Pareil d’ailleurs quand je le voyais à la télé en concert. Sa manière d’en faire des tonnes me repoussait totalement. J’ai vraiment du mal avec ce qui m’apparaissait comme trop joué, trop incarné avec un caractère emphatique. Ca me semblait alors vulgaire, indécent, grossier, et intrusif. Cela dit, j’ai réussi à découvrir Brel plus sereinement (sans cette sur-affection) grâce à quelques morceaux qui me paraissent plus « censés » quelque part. Des copains m’ont fait écouter d’abord « La ville s’endormait », « Les Marquises », « Orly », et là c’était gagné. Dans ces morceaux j’ai aimé justement les variations de rythme, les pauses, il y a une très belle mise en relief de la musique, des émotions. « Les Marquises » pour moi, c’est un sommet. C’est aussi pour cela que j’ai appelé l’un de mes groupes ainsi. Avec Recorded Home d’ailleurs, je n’ai pas pu m’empêcher d’en faire une reprise. Modeste c’est sûr ! D’ailleurs, récemment, à la sortie d’un concert de Dominique A, je lui ai laissé un CD pour lui demander s’il accepterait de chanter cette reprise, ainsi que quelques morceaux en français que j’ai composés. Je crois que ça pourrait faire une chouette reprise en tout cas… Bon, après Dominique A était très sympa et très cool, mais je ne suis pas certain que ça débouche sur quelque chose. À voir. Mais concernant Brel, au final, même maintenant, je n’aime vraiment que quelques morceaux. Peut être qu’avec le temps je finirai par tout aimer, qui sait… Il y a un autre morceau aussi que j’adore, et qui est pourtant bien plus ancien, « Sur la place », la mélodie y est vraiment superbe.
La rentrée va être chargée pour toi, peux-tu nous en dire plus ?
La rentrée va surtout être chargée car je vais m’occuper de la sortie de Lost Lost Lost, et que je ne sais pas trop comment tout cela va se dérouler… Le disque devrait sortir début septembre si tout se passe bien. En même temps que le disque sortira aussi, en vente sur le MySpace des Marquises, un DVD reprenant en vidéo les morceaux de Lost Lost Lost. Six réalisateurs s’y sont collés, et j’ai hâte de voir le résultat ! Tous n’ont pas encore terminé, mais je pense que d’ici mai je devrais avoir récupéré tous les films. J’espère ! J’espère aussi que j’arriverai à vendre un peu de disques, j’aimerais bien ! Je suis fier de ce disque…
Et enfin, question traditionnelle, donne-nous tes cinq disques favoris.
C’est un peu dur de trouver LES cinq disques que je préfère, mais en tout cas en voilà cinq que j’adore et qui correspondent bien à mon humeur actuelle :
– Hood Rustic Houses Forlorn Valleys
– Beach House Teen Dream
– Richard Hawley Truelove’s Gutter
– Minus Story The Captain is Dead, Let the Drum Corpse Dance
– Dirty Three Whatever You Love, You Are
Lire également les chroniques de :
– Immune, Sound Inside (2007)
– Immune, Not Until Morning(2008)
– Recorded Home, S/T (2008)
A visiter, les sites de :
– IMMUNE
– RECORDED HOME
– LES MARQUISES
– BLOG ET CHRONIQUES
– COLO COLO