La formule usitée prend tout son sens : disons-le tout haut, Say It, second volet des aventuriers canadiens, va faire beaucoup de bruit. Entretien.


Forts d’un premier album, Red Yellow and Blue (2007), devenu un classique, les Borns Ruffians nous surprennent avec Say It, dont les vapeurs aphrodisiaques se révèlent moins facilement. Mais son cortège à rebours d’hymnes faussement nonchalants ne tarde pas à nous devenir indispensable : la mise sous tension incroyable de « The Ballad of Moose Bruce », « Oh Man », « Retard Canard », « What To Say », « Sole Brother »… la liste des favoris s’allonge chaque jour. Et l’évidence se rappelle à nous : nous sommes tous Born Ruffians.

Peu de groupes peuvent prétendre incarner la jeunesse rock des années 2000. Avec leur premier album, l’inusable Red Yellow and Blue, les Born Ruffians, groupe le plus jeune et le plus rock signé sur le très pointu label Warp, clôturaient l’année 2007 avec un ton et une énergie revigorants. On a parfois assimilé, à tort, la musique du trio de Victoria (Canada) aux sarabandes vocales d’Animal Collective (enfin, ceux qui ne sont pas allés plus loin que la première plage de Red Yellow and Blue), alors qu’elle se rapproche davantage de la folk nerveuse des Violent Femmes, revisitée avec le son crasseux et gracieux d’une vieille guitare Gretsch. Leur rock, rêche et habité, a quelque chose d’extatique, une jeunesse que personne ne peut voler ou pervertir, désormais gravée sur microsillon pour l’éternité. Les privilégiés qui ont assisté à leur concert donné en mai dernier au Point Ephémère, à Paris, savent combien Luke LaLonde et ses solides ruffians savent transmettre, voire transcender, l’euphorie de leur folk/rock intrépide.

A la veille de ce concert mémorable, nous avons laissé tourner en mode aléatoire notre iPod, pour jouer avec le groupe au jeu des chansons cachées. Aussi cool qu’un modern lover, le guitariste-chanteur Luke «la main chaude» a assuré son rôle de leader, nous gratifiant au passage de drôles d’anecdotes. Blind test réussi.

« As Serious As Your Life » – Born Ruffians Mix

Luke LaLonde : (instantanément) Four Tet. On considère Kieran Hebden (ndlr : alias Four Tet) comme notre grand frère en musique, car notre manager n’est autre que sa soeur. Il a pris soin de nous et nous a rendu pas mal de services. On utilise d’ailleurs son ampli de guitare sur scène (rires). Nous sommes très flattés que Kieran ait travaillé sur ce titre, car c’est quelqu’un d’intègre, il ne remixe que ce qu’il aime. Et pas seulement parce que sa soeur est aussi notre manager !

Pinkushion : Son travail est assez époustouflant sur le remix d’« I Need a Life », il déconstruit votre morceau sur près de 10 minutes.

Luke LaLonde : Oui (rires). En général, j’aime bien le concept — retravailler des morceaux originaux est plutôt plaisant. Parfois, certains remix peuvent être stupides, mais j’apprécie vraiment lorsque le travail est réussi. Et Four Tet est l’un des meilleurs dans le genre. Si vous voulez un remix, faites appel à Four Tet ! (rires)

« To Cure A Weakling Child » – Aphex Twin

Luke LaLonde : (après 20 secondes d’hésitation…) : Je vois, Aphex Twin…

Pinkushion : Vous avez repris deux morceaux d’Aphex Twin pour la compilation des 20 ans du label Warp, parue l’année dernière. Assez déconcertant comme choix de reprise pour un groupe de rock.

Mitch Derosier (basse) : C’était le but ! (rires)

Luke LaLonde : Le label nous avait sollicités pour ce 20e anniversaire, en disant qu’ils étaient en train de faire un album de reprises des artistes du label par des artistes du label. Nous avons alors réfléchi à ce que nous pourrions faire. On aurait pu s’éclater en reprenant Grizzly Bear ou Battles, mais j’ai pensé qu’Aphex Twin s’avérerait finalement le meilleur choix, car il est l’artiste électronique par excellence et nous sommes le groupe le plus rock du label. L’idée était intéressante. Nous avons essayé de trouver des échantillons de paroles sur un de ses titres (ndlr : « Milkman » sur le Girl/Boy EP), puis d’y adapter les arrangements d’un autre avec une guitare (ndlr : « To Cure A Weakling Child » sur The Richard D. James album). On est plutôt satisfaits du résultat. Par la suite, les gens du label nous ont dit qu’Aphex Twin avait apprécié le morceau. Mais nous ne l’avons jamais rencontré.

Ecouter leur reprise « Milkman/How to cure a Weakling Child »

« Jamelia » – Caribou

Steven Hamelin (batteur) : C’est “Jamelia”, Luke chante sur ce morceau.

Luke LaLonde : Nous avons beaucoup tourné avec Caribou, environ quatre ou six semaines ensemble aux États-Unis puis en Angleterre. Andy jouait alors des synthétiseurs avec Caribou. Nous sommes devenus amis avec Dan (ndlr : Daniel Snaith, leader de Caribou), car je suppose que partager un bus durant autant de temps facilite le rapprochement. Plus tard, lorsque Dan s’est mis à travailler sur son nouvel album, il avait cette chanson en stock et cherchait un invité pour chanter dessus. Il m’a envoyé un e-mail, et j’ai été plus qu’heureux d’en être, le morceau étant déjà en soi très excitant. C’est un honneur pour moi, car je suis un grand fan de sa musique. De plus, j’ai lu pas mal de critiques qui mentionnaient ce titre comme l’un des meilleurs de l’album, ce qui me rend encore plus fier, même si je n’ai pas participé à l’écriture (rires). Ma présence se cantonne à interpréter le morceau, tout le reste était déjà prêt, les arrangements, les mélodies ainsi que les paroles.

Pinkushion : Andy Lloyd est la nouvelle recrue du groupe, transfuge de Caribou. Le groupe est donc désormais un quatuor : est-ce que son apport aux claviers a modifié votre donne musicale ?

Luke LaLonde : Lorsque nous avons écrit cet album, nous étions toujours trois, nous travaillions dessus depuis 2008, voire 2007. L’album a été terminé avant qu’Andy intègre le groupe. Son apport est davantage lié à la scène, il joue des claviers mais ajoute aussi des parties de guitare, fait des choeurs… On n’a jamais aussi bien joué sur scène, on prend beaucoup de plaisir. Les prochaines chansons que nous enregistrerons seront plus « collaboratives », je suis sûr que les propres parties jouées par Andy seront dessus.

Andy Lloyd : on parlera de cela plus tard ! (rires)

« Red Sun N°5 » – Owen Pallet

Luke LaLonde : Rusty Santos, notre producteur depuis les débuts, a également mixé cet album d’Owen Pallet. Owen m’a raconté avoir choisi Rusty à cause de Red Yellow and Blue. Il aimait la production. Je ne sais pas si c’est vrai, mais il m’a raconté cela. Je ne lui fais pas très confiance car c’est un voleur de nourriture. (rires)

Pinkushion : ??

Luke LaLonde : C’est une anecdote entre nous. La première fois que nous nous sommes rencontrés avec Owen, j’étais en train de manger une barquette de frites dans un festival. Owen s’approche de moi, je ne le connaissais pas avant, et il me dit (ndlr : adoptant une voix un peu neuneu) « salut comment ça va ? Qu’est-ce que tu as là ? » et ni une ni deux, il pioche avec ses doigts dans ma barquette de nourriture ! « hum, c’est vraiment bon ! ». Mais je t’en prie, ne te gêne pas…

Steven Hamelin : Tu voles mon producteur et maintenant ma nourriture ! (rires)

Luke LaLonde : Mais Owen est un bon gars. Je l’ai rencontré plusieurs fois. Nous avons pas mal de relations.

<br />Andy Lloyd, Mitch DeRosier, Luke LaLonde, Steve Hamelin. <br /> Born Ruffians, Paris, Mai 2010.  » align= »center » /></p>
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<p><strong>Pinkushion : Pouvez-vous parler de Rusty Santos, également producteur de votre premier album ? C’est la deuxième fois que vous collaborez ensemble pour ce nouvel album.</strong></p>
<p><strong>Luke LaLonde :</strong>  Rusty est quelqu’un de formidable. Son approche en tant que producteur est plutôt artistique. Ce n’est pas le genre de personne à faire deux fois le même disque. Chaque album doit pour lui être une oeuvre d’art. C’est aussi quelqu’un avec qui il faut travailler dur. Il est acharné, vraiment capable de travailler nuit et jour sur un morceau. Son approche du son est unique, c’est pour cela que nous souhaitions à nouveau voir ce qu’il pouvait faire avec nos nouvelles chansons. On ne s’est pas posé beaucoup  de questions pour ce second album, nous l’avons appelé automatiquement lorsque nous étions prêts à rentrer en studio. C’était important de lui renouveler notre confiance.</p>
<h2>« Miracle Legion » – Ladies From Town</h2>
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Luke LaLonde : Je ne vois pas, qui est-ce ?

Pinkushion : Miracle Legion, un groupe de rock indépendant des années 80, un peu dans la mouvance de REM, mais en plus folk. Je leur trouve quelques points communs avec vous, pour l’approche pop minimaliste, et la voix de Mark Mulcahy, assez proche de la tienne.

Luke LaLonde : Je vois. Notre musique tend vers le minimalisme et est plutôt clairsemée. Nous sommes exigeants lorsqu’il s’agit d’écrire une chanson : on évite à tous prix les parties superflues, chaque instrument a son utilité. Un groupe des années 80 dont l’influence sur nous n’est pas négligeable, ce sont les Violent Femmes. Très important en termes de trio minimaliste. Lorsque j’avais 18 ans, j’adorais l’honnêteté des paroles. J’aime beaucoup le premier album, après je n’ai pas suivi. On nous a aussi comparés aux Feelies, mais je n’aime pas ce groupe. J’ai téléchargé leur album bleu, supposé être leur classique. J’ai vraiment essayé de rentrer dedans, mais rien n’y fait. Désolé (rires).

« Wolf Parade » – Little Golden Age

Steven Hamelin : Est-ce le nouvel album de Wolf Parade ? Génial, je n’ai pas encore écouté. Nous sommes fans. Lorsque nous étions encore un jeune groupe, nous avons joué dans un festival avec eux. J’ai lu qu’ils avaient pour principe d’enregistrer leurs chansons dans des conditions live en studio et c’est aussi notre credo. J’aime leur son, on peut toujours sentir cette énergie scénique à travers leurs morceaux. J’adorerais tourner avec Wolf Parade, nous ne nous sommes jamais vraiment rencontrés. Leur premier album, Apologies to the Queen Mary, je l’ai usé jusqu’à la corde !

Luke LaLonde : Je me rappelle avoir acheté les demos avant la parution de leur premier album. Nous étions encore étudiants et on assistait à ce concert où Wolf Parade faisait la première partie. Nous ne les connaissions pas à l’époque, et Wolf Parade a carrément volé la vedette à la tête d’affiche ! Je suis très fan depuis ce jour, même si j’avoue ne pas avoir vraiment écouté leur second album.

Enfin, question rituelle, quels sont vos cinq albums favoris ?

Luke LaLonde :

Talking HeadsFear of Music

Scott WalkerScott 4

Brian EnoTaking Tiger Mountain (by strategy)

The Strokesis this it

RadioheadKid A

Steven Hamelin :

Beach BoysPet Sounds

The ImpressionsDefinitive Vol I

The StrokesIs This It

Wu-Tang ClanEnter the Wu-Tang (36th Chamber)

WeezerBlue Album

Andy Lloyd :

The BandS/T

Bruce SpringsteenNebraska

Neil YoungOn the Beach

Scott WalkerScott 4

Fleet FoxesSun Giant

Mitch Derosier :

The BandMusic From The Big Pink

Bruce SpringsteenBorn To Run

Akron/FamilyAkron/Family

The StrokesIs This It

Barenaked Ladies Gordon

Born Ruffians, Say it (Warp/Discograph)

Site officiel

– En extrait, « What to Say » :