Impressions sur la cinquième édition du festival Villette Sonique :
– Manuel Göttsching + Oneohtrix Point Never le 2 juin.
– Wolf Eyes, OM, Acid Mothers Temple & Melting Paraiso U.F.O.
2 Juin 2010, La Géode, 21h
Manuel Göttsching + Oneohtrix Point Never
Il faut se rendre à l’évidence : depuis sa première édition en 2006, la programmation de La Villette Sonique n’a jamais été décevante. Riche et ouverte, elle s’est toujours constituée comme éclectique, balayant ainsi un large panorama au sein des musiques contemporaines. Une grande disponibilité, qui s’ajoute à l’espace singulier que constitue le site du festival, coupé de la ville tout en s’y intégrant subtilement.
Or, difficile de cerner, au premier abord, des affinités, une continuité, entre la vie et La Géode, lieu géométriquement « parfait », qui accueille cette année Manuel Göttsching, ancien membre et co-fondateur de Ash Ra Tempel avec Klaus Schulze et Hartmut Enke, et Daniel Lopatin, aka Oneohtrix Point Never. Il serait presque vain de mentionner ici la différence qui pourrait exister, vis-à-vis de l’expérience musicale, entre une salle de concert dite classique et un lieu tel que La Géode ; ceux qui ont fait les précédentes éditions du festival, ou encore ceux qui ont assisté au concert de Geir Jenssen aka Biosphere en 2008, s’en accommoderont. Si elle se donne comme une architecture imposante, se laissant apercevoir de loin, immobile, indifférente à chaque pas fait pour l’atteindre, il s’agit, au fond, d’une apparence qui instaure immédiatement une relation intime, rendant rêveur avant même d’y accéder. D’autant plus lorsque la programmation prévoit une soirée cosmique, un dialogue entre hier et aujourd’hui.
Une fois confortablement installé dans les fauteuils, on voit Daniel Lopatin prendre place modestement sur scène. Avec son projet Oneohtrix Point Never, le jeune musicien américain élabore une sorte de montage de couches sonores organiques, fluctuantes et intenses, accompagnée par des images projetées d’un film de Gérard Calderon. Appartenant à La Géode, la source pédagogique, évoquant l’évolution de la terre et celle de la vie, aussi bien au niveau macroscopique que microscopique, devient le socle d’une fiction élargie et immersive. Pour ceux qui découvrent ainsi l’univers de Lopatin, il est fort probable que ces images seront désormais associées à la musique itinérante de Oneohtrix Point Never et inversement, constituant ainsi l’imaginaire vagabond de cette expérience unique.
Pas d’images en revanche pour Manuel Göttsching. L’homme s’installe, discrètement. Les adeptes sont présents, des cinquantenaires, ceux qui ont assisté à la naissance du krautrock allemand, des formations de référence. Pour ceux qui n’ont pas vécu cette période d’effervescence, mais qui ne manquent pas de s’y intéresser et de l’apprécier, cette présence digne de l’ancien d’Ash Ra Tempel constitue presque des retrouvailles imaginaires, le musicien avouant lui-même qu’il n’est pas venu jouer en France depuis plus d’une trentaine d’années. Ponctuée par des annonces brèves, de remerciement et de précision, Göttsching investit remarquablement l’espace de la scène malgré une lumière crue, proposant aux spectateurs de différentes générations des compositions transversales, de longs solos de guitare qui complètent et nourrissent délicatement les rythmes en boucles. En revanche, la texture de ces derniers, quelque peu « pauvre » et « d’un goût fort douteux » pour certains, a dû agacer ceux qui attendaient du maître une ré-exposition du magistral Inventions for Electric Guitar, sorti en 1975 ; si on possédait les yeux de ceux qui ont quitté la salle bien avant la fin du concert, on aurait sûrement vu un grand musicien qui a mal vieilli, faisant des aller-retours incessants entre son ordinateur, qu’il utilise comme une boîte à rythme vulgaire, et une guitare dont le jeu reste périmé, inefficace.
Or, de cette vision « soporifique » et désillusionniste, on était loin. A la place, on gardera le souvenir d’une profonde harmonie entre l’univers de Oneohtrix Point Never et celui de Manuel Göttsching, moins pour la sonorité « rétro » du premier que pour un goût commun, transgénérationnel, pour l’exploration et l’ouverture, aspects que le deuxième cultive depuis des années.
3 Juin 2010, Le Cabaret Sauvage, 19h30
Wolf Eyes, OM, Acid Mothers Temple & Melting Paraiso U.F.O.
Autre lieu singulier, le Cabaret Sauvage, où se produisent Wolf Eyes, Om et Acid Mothers Temple & Melting Paraiso U.F.O. Le velours, le rouge, les tables, les banquettes… un décor remarquablement vivant, qui va finalement s’effacer une fois les lumières éteintes. S’il réapparaitra graduellement au moment des transitions, ça sera pour disparaître à nouveau, devant la présence et l’intensité des trois formations.
Les américains de Wolf Eyes ouvrent la scène, dessinant progressivement les contours de leur univers bruitiste dévorant. Avec les hurlements s’articulant à peine, accompagnés d’un jeu saturé rarement interrompu, Nate Young, John Olson et Mike Connelly proposent une expérience-limite savoureuse. Une véritable performance, où il devient facile d’oublier la foule pour se laisser absorber dans la condition brute et instinctive. On lit, par ailleurs, que cette dernière définit également la psychologie des musiciens sur scène, comme par exemple Olson, avouant lui-même qu’il n’est pas conscient de beaucoup des choses qui se passent pendant les concerts, au point même de ne plus reconnaître ses collègues. Tout cela fait de Wolf Eyes une figure performante et sauvage, qui tend inlassablement vers un centre imaginaire, un point impossible.
Beaucoup de faux départs en revanche pour OM, composé d’Al Cisneros à la basse et d’Emil Amos (Grails) à la batterie. Problèmes d’ampli, reprises des morceaux, coupures répétées, petits détails devenant la source de grandes désillusions. Or, si le désarroi de Cisneros se lit sur son visage au début, c’est pour laisser la place, par la suite, à l’assurance incantatoire, démultipliée par le jeu libre et dynamique d’Emil Amos — remplaçant Chris Hakius sortant. L’évolution se fait sentir, comme on l’avait écrit ailleurs, à travers les compositions progressives, à la différence d’une forme monolithique et répétitive. Une véritable croissance horizontale donc, où les actions déchainées d’Amos sont vivement saluées, avec Cisneros qui n’hésite pas à reprendre les anciennes compositions sous de nouvelles configurations.
L’embrasement ultime, le dernier concert de la soirée, est celui des japonais Acid Mothers Temple & Melting Paraiso U.F.O avec Guy Segers, ancien membre d’Univers Zéro et de Present — par ailleurs fondateur du label Carbon 7 –, remplaçant le bassiste Tsuyama Atsushi. La présence saisissante des deux figures principales, à savoir Kawabata Makoto et Higashi Hiroshi, donne à la performance le goût subtil d’une folie légère, cette dernière atteignant son paroxysme lorsque le groupe se dédouble et accueille les membres de la formation italienne Stearica, proposant ainsi de longues compositions tourbillonnaires et contemplatives. A la fin, lorsque Kawamata brise ses deux guitares sur scène, on réalise que l’ivresse était bien là, pendant toute la soirée du festival, s’immisçant autant parmi le public que sur scène.
– Site officiel du Festival